C’est un dossier international, tentaculaire et unique qui se retrouve devant la justice française. Une affaire de santé publique à près d’un milliard de dollars. Tel est le montant de l’indemnisation réclamée par 1 234 anciens ouvriers agricoles nicaraguayens à trois multinationales américaines de l’agrochimie. Jusqu’en 1983, The Dow Chemical Company, Occidental Chemical (devenue Oxy) et Shell Oil ont exporté en Amérique centrale le DBCP (Dibromo-chloropropane) pourtant interdit dès 1977 aux Etats-Unis. Ce pesticide extrêmement polluant, qui provoque notamment des cancers et de l’infertilité, a été utilisé sans protection par les plaignants pour éliminer des vers nuisibles aux racines des bananiers. Lundi 24 janvier, les magistrats du tribunal judiciaire de Paris vont examiner la demande d’assignation des trois groupes américains dans le cadre de la procédure d’exequatur lancée par les avocats des victimes.
Celle-ci vise à rendre exécutoire en France, et dans les autres Etats de l’Union européenne, une décision judiciaire nicaraguayenne qui a condamné les sociétés américaines à verser 805 millions de dollars d’indemnisations à ces anciens travailleurs. Ce jugement prononcé en 2006 reconnaît la responsabilité des groupes américains dans l’importation, la distribution et l’utilisation du DBCP dans les exploitations agricoles entre 1977 et 1983. Ce qui a été confirmé en appel et, en 2012, par la Cour suprême du Nicaragua. Toutefois, cette décision judiciaire n’a jamais pu être exécutée. Dow Chemical Company, Occidental Chemical et Shell Oil la contestent fermement et se sont retirées du pays sans laisser aucun actif saisissable sur place.
Attirés par cette affaire comme par un trésor, des avocats américains – pour certains crapuleux – se sont rués à Chinandega au Nicaragua pour recenser toujours plus de victimes présumées du DBCP. Et ce, afin de porter le dossier devant la justice américaine. Il a été démontré que certaines données de santé ont été trafiquées par ces avocats, que des prétendues victimes de stérilité ont eu des enfants. Dans le même temps, les géants américains mis en cause n’ont jamais cessé d’user de leur puissance financière, juridique et d’influence au travers de cabinets de lobbying et d’investigation pour discréditer la justice du Nicaragua, les plaignants et leurs conseils.
En 2010, la juge californienne Victoria Chaney a annulé une décision favorable à six ouvriers agricoles nicaraguayens. Cette magistrate réputée proche du parti républicain pointe alors un « complot » et conclut à une fraude rendue possible par « l’écosystème social particulier et bizarre du Nicaragua ». Ce jugement a douché les espoirs de justice et d’indemnisation des victimes nicaraguayennes. Du moins aux Etats-Unis où les trois multinationales ont leurs sièges : à New York pour Oxy, dans l’Etat du Delaware – considéré comme un petit « paradis fiscal » – pour Shell Oil et Dow Chemical Company.
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