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EnquêteSi 2 600 Afghans ont pu être accueillis en France lors de la prise de pouvoir des talibans, en août 2021, nombreux sont ceux qui, à Kaboul, estiment avoir été abandonnés. Les évacuations se sont souvent déroulées dans un mélange indistinct de chance, d’arbitraire et d’entregent.
Elle a dû d’abord puiser dans ses économies, puis vendre ses derniers objets de valeur pour boucler des fins de mois de plus en plus difficiles. Alors qu’elle avait obtenu un poste d’enseignante de français à l’université de Kaboul à l’été 2021, Saïda (qui préfère ne pas donner sa véritable identité par crainte de représailles) a aujourd’hui le sentiment d’avoir tout perdu. « Si on ne trouve pas de moyen légal pour sortir du pays, on partira avec les passeurs, se désole cette mère de 27 ans. J’ai vu le fruit de mes années de travail partir en fumée. Je refuse que mes deux fils finissent comme moi. »
Quand les talibans ont pris le pouvoir en Afghanistan, en août 2021, Saïda avait aussitôt alerté le Quai d’Orsay sur les dangers qui pesaient sur sa vie, sur celles de son mari, porte-parole d’un ministère sous l’ancien régime, et de leurs deux petits garçons. La réponse avait été encourageante : sa famille devrait être évacuée, dans la mesure du possible. Puis plus rien. Sans avis définitif de Paris, le couple n’a pas osé se rendre à l’aéroport. « Mes enfants sont très jeunes, 2 ans et 4 ans. J’avais peur qu’on se retrouve bloqués dans la foule », explique-t-elle. Pour compliquer la situation, « tous mes documents, dont mon diplôme et mon acte de naissance, sont à l’université. J’ai bien tenté d’aller les récupérer, mais les talibans ne m’ont pas laissé entrer », poursuit-elle. La plupart de ses anciens camarades de classe en licence de français ont réussi à partir. Pas elle. Depuis, son mari ne sort presque plus : figure connue de par ses ex-fonctions officielles, il redoute d’être appréhendé par les nouveaux maîtres de Kaboul. Saïda a rappelé le Quai d’Orsay, écrit aux ambassades de France au Qatar et au Pakistan. Autant de courriers restés sans retour. Dans l’appartement familial situé à Makrouyan, un quartier populaire du sud de la capitale, règne l’incompréhension.
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A l’image de Saïda, nombreux sont les Afghans qui se sentent lésés, après avoir été exclus de l’opération « Apagan » – le double pont aérien organisé entre Kaboul, Abou Dhabi, aux Emirats arabes unis, et Paris, à l’été 2021 – malgré leurs liens avérés avec la France et leur opposition aux talibans. Ils sont en danger, se disent abandonnés. Pourquoi les uns, et pas les autres ? Sur quels critères s’est effectué le choix de ceux qui ont été évacués ?
« Un tri fait dans l’urgence »
« Le tri s’est fait dans l’urgence, admet, à Paris, un cadre du ministère de l’intérieur, sous couvert d’anonymat. La jauge a été fixée par la deadline, qui était le 31 août [2021], date du départ des Américains. » Au total, entre le 16 et le 27 août, 27 vols ont été opérés depuis Kaboul vers Abou Dhabi. « La France a fait son marché », rétorque Houssam El-Assimi, pilier des collectifs La Chapelle debout et Afghan Lives Matter (« Les vies afghanes comptent »), créé à cette période. Ce farouche défenseur du droit d’asile affirme avoir tenté de contacter la cellule de crise, mise en place le 15 août au Quai d’Orsay, afin de venir en aide à une trentaine de réfugiés afghans inquiets pour leurs proches restés au pays. En vain : « Je ne connais personne qui a réussi à faire venir sa famille, déplore-t-il. On a le sentiment que cette cellule a juste permis de dégonfler la pression, mais, pour nous, le résultat, c’est zéro. »
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