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Soham El Wardini, maire de Dakar, en avril 2020. SEYLLOU / AFP
De grandes affiches marron, vertes, bleues ou violettes aux effigies des candidats à la mairie de Dakar décorent les rues de la capitale du Sénégal. Tous les jours, jusque tard dans la nuit, des caravanes arpentent les différents quartiers. Les militants sifflent, tapent des mains, distribuent des prospectus aux passants. Les sonos crachent de la musique saturée. Difficile d’ignorer que les électeurs sénégalais sont appelés aux urnes dimanche 23 janvier pour élire leurs maires.
Ce scrutin local – initialement prévu en novembre 2019 mais reporté plusieurs fois – prend un relief particulier en ouverture d’un calendrier électoral chargé. Outre les municipales (couplées aux départementales), les Sénégalais devraient choisir leurs députés à l’été 2022 avant la présidentielle au début de 2024.
Le rendez-vous de dimanche est aussi le premier test électoral pour le président Macky Sall depuis sa réélection en février 2019 alors que plane toujours le doute sur son éventuelle candidature pour un troisième mandat. Opposition et pouvoir ne manqueront pas de scruter les résultats pour tenter d’en déduire les rapports de force entre les deux camps.
Logiquement, la bataille est particulièrement rude dans la capitale qui concentre plus de 20 % des 17 millions de Sénégalais. La mairie de Dakar dispose d’un budget et de ressources financières importantes : taxes et impôts locaux, dotations publiques…
« Devenir une figure présidentiable »
« Historiquement, la bataille a toujours été dure à Dakar où le maire peut montrer ses capacités et devenir une figure présidentiable », note Mohamadou Fadel Diop du centre de réflexion West Africa Think Tank (Wathi). « D’abord, le maire peut agir dans beaucoup de domaines et c’est aussi une fonction qui offre de la visibilité, lors de rencontres avec les maires de capitales étrangères par exemple », ajoute le chercheur.
La dimension symbolique est importante dans cette ville tenue par l’opposition depuis 2009. « Macky Sall est le seul président de la République qui n’a jamais eu la capitale, et celui qui gagne Dakar gagne la présidence », lance Barthélémy Dias. Le constat n’est pas innocent. Barthélémy Dias est l’un des favoris de ce scrutin sous les couleurs de Yewwi Askan Wi (YAW).
Cette coalition rassemble notamment les partis d’Ousmane Sonko – l’opposant qui monte au Sénégal et candidat, lui, dans la « capitale » régionale de la Casamance, Ziguinchor –, et de Khalifa Sall. Ce dernier, ancien maire de Dakar, avait été contraint de quitter ses fonctions en 2018 suite à une condamnation pour « escroquerie sur fonds publics ». Condamnation dénoncée comme un acte politique par l’intéressé, qui l’a rendu inéligible.
Barthélémy Dias affronte six autres personnalités parmi lesquelles Abdoulaye Diouf Sarr, actuel ministre de la santé et candidat de la majorité, Pape Diop, ancien maire de Dakar (2002-2009), Doudou Wade du Parti démocratique sénégalais (PDS) de l’ancien président Abdoulaye Wade et la maire sortante Soham El Wardini qui assurait l’intérim depuis le départ forcé de Khalifa Sall.
« Ascension vers le pouvoir central »
« Nous devons gagner Dakar car c’est le premier tour de la présidentielle de 2024 qui se joue, alors que Macky Sall reste flou sur la question du troisième mandat », ajoute Barthélémy Dias.
L’opposant espère que le chef de l’Etat livrera ses intentions après l’annonce des résultats. Plus qu’avant, le verdict de cette élection locale sera lu comme un baromètre de l’opinion publique. Le mode de scrutin a en effet changé. Pour la première fois, ce sont les électeurs qui choisissent directement leur maire. Non plus les conseillers municipaux fraîchement élus qui le désigneront.
« La réforme électorale affaiblit la “dictature” des partis politiques qui choisissent pour les populations. Cette procédure permet davantage de mesurer le poids électoral des candidats en tant qu’individualités », analyse Mohamadou Fadel Diop, de Wathi.
La coalition au pouvoir, Benno Bokk Yakaar (BBY), se targue de ses victoires aux législatives en 2017 puis à la présidentielle de 2019. Mais elle reproche à l’opposition de donner une dimension nationale à un scrutin local. « Elle veut utiliser Dakar pour son ascension politique vers le pouvoir central, mais il ne faut pas détourner la campagne de ce scrutin qui est territorial », explique Abdoulaye Diouf Sarr, candidat de la coalition présidentielle.
« Capitale en otage »
Pourtant, le ministre de la santé, homme politique d’expérience, met en avant sa gestion de la pandémie de Covid-19 pour convaincre les Dakarois, mais assure qu’il démissionnera du gouvernement s’il est élu maire.
Lors de la municipale précédente, en 2014, Mimi Touré avait échoué et avait perdu sa place de première ministre. Abdoulaye Diouf Sarr avait été le seul candidat de la coalition BBY à conquérir une commune de la capitale, celle de Yoff. « La cohérence du programme municipal d’Abdoulaye Diouf Sarr avec les politiques publiques de la majorité est une force », argumente Pape Mahaw Diouf, porte-parole de BBY au niveau national. Il cite les grands projets de transformation de Dakar menés par l’Etat, tels que le lancement du train express régional ou le bus rapide transit (BRT).
« Si la mairie est cohérente avec le projet étatique de développement de la capitale, tout sera encore plus efficace », espère le porte-parole. A l’inverse, il accuse l’opposition de créer des blocages et de prendre « la capitale en otage pour en faire un instrument politique ».
La maire sortante, Soham El Wardini, tente quant à elle de défendre son bilan municipal. Ancienne protégée de Khalifa Sall, elle a créé son propre parti après avoir été écartée de la coalition de l’opposition YAW, qui lui a préféré Barthélémy Dias. « Penser que Dakar est un strapontin pour arriver à des fonctions étatiques va plomber le travail de la ville et freiner des projets », s’inquiète celle qui a été la première femme à parvenir à ce niveau de responsabilités.
Une crainte que partage l’analyste Mohamadou Fadel Diop. « D’autres enjeux comme la territorialisation des politiques publiques ou la décentralisation devraient être discutés, mais elles sont reléguées au second plan, après la lutte pour l’accaparement du pouvoir. La démocratie sénégalaise est piégée par les questions électoralistes », critique le chercheur.
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