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Après l’échec du CFCM, le gouvernement veut réformer la gouvernance de l’islam

Totalement paralysé et critiqué de toutes parts, le Conseil français du culte musulman (CFCM) pourrait bientôt disparaître. Pour le remplacer, le gouvernement mise sur une nouvelle organisation plus proche des acteurs de terrain. Un Forum de l’islam de France doit se tenir début février pour ouvrir ce chantier complexe.

C’est une période décisive pour l’islam en France. Le Conseil français du culte musulman (CFCM), longtemps interlocuteur privilégié des pouvoirs publics, connaît ces derniers jours une lente agonie et pourrait céder la place à une nouvelle organisation, moins centralisée et plus proche du terrain.

Cette semaine, un imbroglio autour de la présidence de l’organisation a une nouvelle fois mis en lumière son fonctionnement ubuesque. Alors que le mandat du président sortant, Mohammed Moussaoui, est arrivé à son terme, le recteur de la Grande Mosquée de Paris, Chems Eddine Hafiz, devait lui succéder à la tête du CFCM. Mais la fédération qu’il dirige a claqué la porte du bureau de l’institution en mars dernier, entraînant dans son sillage trois autres fédérations dissidentes.

Cette querelle interne apparaît comme le dernier épisode de la guerre d’influence que se livrent l’Algérie et le Maroc pour asseoir leur hégémonie sur l’islam dans l’Hexagone.

Pour le gouvernement français, c’est est assez. Interrogé jeudi par FranceInfo, le ministre de l’Intérieur et des Cultes, Gérald Darmanin a assuré que le CFCM avait « vécu » tout en rappelant qu’il s’agissait « d’une association indépendante ».

Une association qui pourrait s’autodissoudre lors d’une assemblée générale, le 19 février prochain. Dans une tribune, son président sortant a lui-même reconnu que l’instance, n’était « plus viable » dans son format actuel.

Mais son délégué général, Abdallah Zekri, joint par France 24, assure que la majorité des deux tiers nécessaire à une dissolution ne sera pas atteinte. « Le CFCM ne vit pas ses derniers jours. En revanche, il faut revoir la manière dont il fonctionne et mettre fin à la cooptation pour privilégier ceux qui se battent pour être élus. Ce ne sont plus les notables qui doivent décider mais la base. »

« Le ver était dans le fruit »

Crée en 2003 par Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur, le CFCM souffre depuis de nombreuses années d’un manque de légitimité. Aujourd’hui, les huit fédérations qui le composent ne représentent plus qu’un tiers des quelque 3 000 mosquées de France.

« Le ver était dans le fruit », estime Frank Frégosi, chercheur an CNRS et spécialiste de l’islam, contacté par France 24. « À l’origine, Nicolas Sarkozy avait totalement verrouillé la composition du CFCM avant même que des élections aient pu avoir lieu. Il a donc été davantage perçu comme une institution qui représentait les pouvoirs publics auprès des musulmans que l’inverse. »

Le CFCM a également un fonctionnement trop « vertical » pour répondre aux attentes des fidèles, estime Frank Frégosi. « Le CFCM a joué pour l’essentiel un rôle symbolique, mais n’a pas été en capacité de prendre à bras le corps les dossiers importants comme la formation des imams ou encore la question du financement du culte. »

Les voix d’un islam libéral

En encourageant la dissolution du CFCM, le gouvernement veut mettre un coup d’arrêt à l’islam dit « consulaire », placé sous le contrôle des pays d’origine, l’Algérie, le Maroc ou encore la Turquie.

Pour y parvenir, l’exécutif a notamment fait voter sa loi contre le séparatisme qui modifie en profondeur celle de 1905 sur la séparation des cultes et de l’État. Dans son discours des Mureaux, le 2 octobre 2020, Emmanuel Macron avait déjà affiché sa volonté de mettre un terme aux influences étrangères au sein de l’islam de France.

L’État a donc repris les choses en main en confiant aux préfets, via les assises territoriales de l’islam, le soin d’identifier des acteurs de terrain – gestionnaires de mosquées, imams, responsables associatifs – pour réformer sa gouvernance. Répartie en quatre groupes de travail, une centaine de ces personnalités doit se retrouver place Beauvau courant février lors d’un Forum de l’islam de France (Forif) pour réfléchir au fonctionnement des aumôneries ou encore à la lutte contre l’islamophobie.

Parmi les participants, Eva Janadin, l’une des trois femmes imames en France, fera entendre la voix d’un islam libéral avec un intérêt particulier pour la formation des imams. « Nous estimons qu’il faut transmettre des interprétations renouvelées. Ils s’agit de faire naître une formation beaucoup plus scientifique sur les aspects anthropologiques et historico-critiques de l’islam », assure auprès de France 24 la déléguée générale de l’association L’islam au XXIe siècle.

Une difficile réforme de la gouvernance

Avec le Forif, le gouvernement veut donc faire émerger d’autres acteurs même si les grandes fédérations continueront à exercer leur influence, quand bien même le CFCM serait dissous.

« Historiquement, la structuration des mosquées en France repose sur ces fédérations, c’est difficile de changer cela. Après, il ne faudrait pas garder les mêmes instances en changeant simplement leurs noms », prévient Eva Janadin, qui plaide pour une organisation décentralisée mieux adaptée à une religion sans clergé, ni hiérarchie claire.

« Il s’agit ici d’opérer un rééquilibrage en donnant davantage la parole aux acteurs de terrain », analyse Frank Frégosi. « J’observe cependant que l’occasion n’a pas été saisie de permettre aux fidèles d’élire leurs représentants. Cette option n’a jamais été mise en avant, ni soutenue officiellement », ajoute le sociologue.

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Car en choisissant lui-même les acteurs du Forif, l’État prête le flanc aux critiques d’ingérence, avec le risque de créer une nouvelle instance illégitime aux yeux des cinq à six millions de musulmans de France. « Engager le dialogue, c’est très bien mais ce n’est pas aux préfets de désigner les représentants du culte musulman », s’insurge Abdallah Zekri. « Il faut sortir, et je suis désolé de le dire, de cet esprit colonial dans la manière de diriger l’islam en France. »

« J’espère qu’on arrivera enfin à faire émerger du positif de ce forum », espère de son côté Eva Janadin. « Mais l’État ne peut pas tout faire et c’est aux musulmans de prendre la responsabilité de leur propre culte. »

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