Alors que les États-Unis ont tiré, mardi, la sonnette d’alarme, jugeant désormais que la Russie pouvait attaquer l’Ukraine à tout moment, le souvenir de l’armée russe prenant rapidement le dessus sur les soldats ukrainiens en 2014 a refait surface. Kiev a cependant fortement amélioré ses capacités de défense, notamment grâce à l’aide des pays de l’Otan.
Washington, de plus en plus alarmiste, assure désormais que “la Russie peut attaquer l’Ukraine à tout moment”. Londres, de plus en plus concret, envoie de l’équipement militaire – essentiellement des armes antichar – à Kiev.
Les autorités ukrainiennes, quant à elles, deviennent de plus en plus pressantes à mesure que se rapproche le bruit des bottes russes de l’autre côté de la frontière. Kiev a frappé à la porte allemande dans l’espoir d’obtenir un soutien militaire de Berlin. Pour l’instant, sans succès.
Un réveil militaire douloureux en 2014
Il n’y a pas de doute, la mobilisation s’accélère. Le camp ukrainien veut être prêt en cas d’attaque russe. Moscou nie, certes, toute velléité belliqueuse en Ukraine et justifie la mobilisation des soldats à la frontière par l’inquiétude de voir l’Otan renforcer ses positions. Mais l’armée ukrainienne peut-elle réellement s’opposer efficacement à une force russe composée, selon les estimations américaines, d’environ 100 000 troupes et de chars à la frontière, dotée de missiles à courte portée et soutenue par l’aviation ?
En 2014, lors de l’annexion de la Crimée, les soldats russes ont aisément passé l’obstacle ukrainien. À l’époque, “l’armée ukrainienne était dans un état assez désastreux”, rappelle Julia Friedrich, spécialiste des questions de sécurité entre la Russie et l’Ukraine au Global Public Policy Institute, un centre de recherche basé à Berlin, contactée par France 24.
“Les événements de 2014-2015 ont été un réveil brutal à la réalité pour Kiev, qui s’est alors lancé dans une vaste réforme militaire”, souligne Nicolo Fasola, spécialiste des questions de sécurité dans l’espace de l’ex-Union soviétique à l’université de Birmingham, contacté par France 24.
Un effort qui a, dans un premier temps, porté ses fruits. L’armée est passée d’environ 6 000 troupes à près de 150 000, d’après une synthèse du service de recherche du Congrès américain réalisée en juin 2021. “Elle inclut dorénavant des tanks, de l’infanterie motorisée, de l’artillerie, des missiles et des unités de défense anti-aérienne”, soulignent les auteurs de cette note.
Kiev a aussi consenti un effort financier conséquent pour moderniser son armée. La part du budget national allouée à la sécurité est passée de 1,5 % du PIB en 2014 à plus de 4,1 % en 2020, selon les données officielles de la Banque mondiale. C’est, comparé aux ressources nationales, plus que la plupart des pays de l’Otan et similaire aux dépenses militaires de la Russie.
Des missiles américains et des drones turques
De plus, l’Ukraine n’est plus seule face à la Russie. Depuis 2014, l’Otan, en tant qu’organisation, et certains pays membres “ont fourni une aide considérable, qui équivaut environ à 14 milliards de dollars”, estime Nicolo Fasola.
Ce sont essentiellement les États-Unis qui ont fourni de l’équipement, comme du matériel radio, des camions de transport militaires et plus de 200 missiles Javelin antichar. Le Royaume-Uni, la Pologne ou encore la Lituanie ont également envoyé des armes défensives.
Même la Turquie est venue aider l’Ukraine en lui vendant ses fameux drones Bayraktar TB2. “Si la livraison de missiles Javelin américains à Kiev a fait couler beaucoup d’encre, la vente des drones turcs inquiète tout autant Moscou”, assure le Washington Post. “Il est vrai que ces engins se sont montrés décisifs dans le conflit du Haut-Karabagh, mais il est difficile de savoir quel impact ils pourraient avoir dans un éventuel conflit avec la Russie, tant la configuration est différente”, précise Julia Friedrich.
Mais la modernisation de l’armée ukrainienne ne passe pas uniquement par le quantitatif. “Il y a eu d’énormes progrès en matière de formation et de préparation au combat”, assure Gustav Gressel, spécialiste des questions militaires russes au Conseil européen pour les relations internationales, contacté par France 24. Pour lui, l’un des principaux talons d’Achille du dispositif de défense ukrainien venait des doctrines militaires qui avaient été élaborées par les Russes à l’époque soviétique. “Moscou savait donc parfaitement à quoi s’attendre et pouvait se préparer en conséquence”, résume cet expert.
D’où l’importance de la formation dispensée par des instructeurs occidentaux dans des bases comme le centre d’entraînement de l’Otan, établi près de Lviv, à la frontière polonaise. “Cela a permis de désapprendre, à des officiers et des soldats, des vieux réflexes trop prévisibles pour Moscou”, ajoute Gustav Gressel.
L’autre atout de l’armée ukrainienne vient de ses soldats. “La plupart se sont engagés en 2014-2015. C’est donc un acte volontaire pour défendre la patrie, ce qui signifie qu’ils sont très motivés et ont un moral élevé”, estime Glen Grant, un analyste sénior à la Baltic Security Foundation qui a travaillé en Ukraine sur la réforme militaire du pays, contacté par France 24. “Entre les missiles Javelin, les drones et le moral des troupes, l’armée de terre ukrainienne est devenue un adversaire redoutable”, ajoute-t-il.
L’aviation, parent pauvre de l’armée ukrainienne
D’autant plus que ces soldats ont tous acquis de l’expérience depuis le conflit dans la région du Donbass, où l’Ukraine se bat depuis plus de sept ans contre des séparatistes soutenus par Moscou.
La situation dans le Donbass est cependant à double tranchant pour l’Ukraine. “C’est un conflit de faible intensité, assez proche de la guérilla, et cela a amené l’Occident et Kiev à se concentrer sur les doctrines militaires et les équipements adaptés à ce type d’affrontements, alors qu’en cas d’attaque de la Russie, ce sera probablement très différent”, résume Nicola Fasola. Concrètement, par exemple, “les Américains ont fourni des fusils de sniper à l’armée ukrainienne pour contrer la Russie, qui utilise le Donbass comme terrain d’entraînement pour ses propres snipers”, souligne Gustav Gressel. Mais ce genre d’armes n’aura pas grand intérêt face à des tanks russes qui traversent la frontière.
La spécificité des affrontements dans le Donbass, faits notamment d’escarmouches, n’a pas non plus amené Kiev à utiliser ses avions de guerre. L’Ukraine ne l’a que très peu modernisée, et de l’avis de tous les experts interrogés par France 24, l’aviation demeure le parent pauvre de l’armée ukrainienne. La plupart des bombardiers ou chasseurs ont plus de 30 ans, les pilotes sont peu entraînés et mal payés. “C’est pourquoi si la Russie décide d’attaquer, en utilisant correctement ses avions, le soutien aérien devrait leur donner rapidement un avantage décisif, malgré toute la modernisation de l’armée ukrainienne”, estime Gustav Gressel.
Effet dissuasif ?
“De toute façon, il va être très dur pour l’Ukraine et ses alliés d’équilibrer le rapport de force si la Russie décide d’attaquer”, reconnaît Julia Friedrich. Ce qui ne veut pas dire que les livraisons d’équipement par le Royaume-Uni sont inutiles. “Elles ont une valeur stratégique et matérielle”, assure Dumitru Minzarari, spécialiste des conflits en Europe de l’Est à l’Institut allemand des Affaires internationales, contacté par France 24. “D’un point de vue stratégique, cela indique qu’il existe une possibilité importante que le pays qui fournit ce soutien militaire décide de s’impliquer encore davantage si un conflit armé éclate”, souligne ce chercheur.
En outre, “l’armée ukrainienne peut, grâce à ces équipements, infliger des dommages supplémentaires à des forces d’invasion russes, ce qui peut avoir un effet dissuasif. Les armes antichar fournies par le Royaume-Uni en sont une bonne illustration : toute offensive russe passera forcément par des manœuvres de véhicules blindés, et si l’Ukraine dispose d’armement moderne pour les contrer, cela peut amener Moscou à revoir son évaluation du rapport coûts/bénéfices d’une offensive”, conclut Dumitru Minzarari.
C’est pourquoi Glen Grant, de la Baltic security foundation, estime que le plus urgent à fournir à l’armée ukrainienne est “tout ce qui peut renforcer la mobilité et la résistance des brigades, comme des ambulances, des véhicules de transports, des radios. Car plus l’Ukraine peut faire durer les combats, plus ce sera sanglant pour la Russie, ce qui sera d’autant plus dissuasif”, assure-t-il.
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