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Consommation: comment Yuka fait bouger les lignes

Depuis son lancement en 2017, Yuka a été téléchargée 26 millions de fois, dont 16 millions en France, et compte 6 millions d’utilisateurs actifs. Dans les supermarchés, il n’est pas rare de voir une cliente, son smartphone en main, reposer un produit après l’avoir scanné avec l’appli. Aucun industriel de l’agroalimentaire n’échappe à cet arbitre du bon goût qui met au tapis, en quelques secondes, des grands plans marketing savamment élaborés. Il faut alors retravailler les formules, retirer des calories. Du côté de chez St Michel, on indique justement: « Notre recette a évolué. Nous avons supprimé l’additif E450 de nos madeleines. » Un changement pas encore pris en compte par l’appli -la mise à jour des données est une limite souvent évoquée- qui devrait faire remonter sa note.

Mais la biscuiterie insiste. Ce n’est pas Yuka qui l’y a poussée. « C’est dans la logique de notre démarche responsable entamée depuis longtemps. » Fabrication en France, œufs de poules élevées en plein air, absence d’huile de palme… Des éléments que ne reflètent certes pas le score Santé de Yuka… mais salués dans l’évaluation de l’impact environnemental (Eco-Score) qu’elle propose. Et St Michel de reconnaître volontiers un côté positif à l’appli: « une sorte de challenge ».

La start-up est bel et bien devenue incontournable. Début 2021, le géant de la distribution Intermarché, qui possède de nombreuses usines, n’a-t-il pas indiqué au détour d’un communiqué que son vaste chantier de reformulation de recettes s’est traduit par une « amélioration significative » des notes sur Yuka? En 2019, la fondatrice de Caudalie, Mathilde Thomas, se fixait même comme objectif « que tout soit vert sur Yuka en 2021 » pour sa marque de cosmétiques. Un objectif en phase avec sa stratégie de longue date de marque nature. Pari tenu, à l’exception d’un produit pour lequel l’appli émet une réserve à cause d’un ingrédient, suscitant l’incompréhension de sa dirigeante. Mais si Mathilde Thomas précise bien ne pas formuler « pour » Yuka, elle se dit fan: « C’est une application révolutionnaire qui oblige les industriels à plus de transparence. »

Indépendance à tout prix

Un tour de force, car Yuka fait figure de poids plume à côté des marques qu’elle évalue: 1,6 million d’euros de chiffre d’affaires en 2020 pour 18.000 euros de bénéfices. Sans publicité, son modèle économique repose sur une version premium payante (15 euros par an), les ventes d’un guide de l’alimentation saine et d’un calendrier des fruits et légumes de saison. « On clame haut et fort qu’on est indépendant », martèle Julie Chapon. Une exigence assumée lors d’une levée de fonds de 800.000 euros en 2019. « C’est la première fois que j’ai dû me vendre pour pouvoir investir », sourit Christophe Courtin (Courtin Investment), qui fait partie du tour de table, tout comme Xavier Niel et le fonds à impact Investir & +.

L’indépendance à tout prix… au risque de vaciller en cas de remous? Condamnée à trois reprises en 2021 pour « pratique commerciale déloyale et trompeuse » et « actes de dénigrement » dans un bras de fer judiciaire qui l’oppose aux entreprises de charcuterie sur l’utilisation des nitrites, Yuka, qui a fait appel, s’attend à plonger dans le rouge. Une perte évaluée à 300.000 euros en raison des dommages et intérêts et des frais de justice, d’où la cagnotte en ligne lancée en octobre pour couvrir ces frais de justice.

Lire aussiNitrites: les dessous du bras-de-fer judiciaire entre Yuka et les charcutiers

Français plus exigeants

Mais malgré sa petite taille, sa force de frappe est potentiellement énorme. « 94% des utilisateurs ont arrêté d’acheter certains produits avec Yuka », indiquait une étude réalisée par l’entreprise il y a deux ans. Sans compter que les Français sont particulièrement friands de ces outils numériques pour décrypter un produit. Selon un récent sondage d’Odoxa pour SAP, 35% déclarent en faire l’usage, contre 24% en moyenne en Europe. Une preuve que les consommateurs attendent transparence et qualité des produits.

Impossible pour le secteur agroalimentaire, aiguillonné aussi par le NutriScore, comme pour la cosmétique d’ignorer ces exigences nouvelles. Toutes les marques s’y mettent. Transparence? L’Oréal –qui émet des réserves quant aux applis qui s’appuient sur la présence ou non de certains ingrédients sans tenir compte de leur concentration–, y répond avec… son propre site baptisé Au cœur de nos produits, où tout est expliqué, y compris par des scientifiques. Nestlé, lui, assure partager les informations nutritionnelles de ses produits avec nombre d’applis, dont Yuka. Qualité? « Au cours des cinq dernières années, fait-on valoir au sein de la même multinationale, nous avons retravaillé en France 40% de nos recettes avec toujours moins de sucres, moins de sel, moins d’acides gras saturés, tout en limitant conservateurs et additifs. » Même son de cloche pour LU, dont l’Ourson Lulu est si mal noté: la marque travaille depuis 2007 à diminuer les lipides, sel et sucre et privilégier les céréales complètes, et l’utilisation de blé local issu de l’agriculture plus durable.

Changements salués

Une émulation générale? Une lame de fond, oui, à laquelle contribue Yuka. Même les géants de la charcuterie lancent des gammes de jambon sans nitrites… avec succès. Julie Chapon et ses associés ont d’ailleurs développé une plateforme pour permettre aux marques de simuler directement leur note. Si une étude vient d’être lancée par deux chercheurs, l’un professeur à Polytechnique, l’autre à l’université de Boston, visant justement à déterminer l’impact que l’appli peut avoir sur l’industrie, les marques ne boudent pas leur plaisir lorsque leurs efforts sont mis en avant. « Yuka a salué le retrait d’un additif présent sur Prince », glisse-t-on à Mondelez International. Celui du fameux E450, dont s’est effectivement réjouie l’appli, voyant dans chaque suppression d’ingrédient controversé « une petite victoire ».

Une liste d’applis de plus en plus longue

Ces dernières années, de nombreuses applis ont vu le jour « pour pallier les défaillances dans la protection et l’information des consommateurs », pointe Olivier Andrault, chargé de mission alimentation de l’UFC-Que Choisir. Yuka, Siga, QuelProduit (celle de l’association de défense des consommateurs), Open Food Facts… La liste est longue. Et les méthodes diffèrent d’une appli à l’autre. Cela va de la catégorie de produits à scanner (alimentaires, cosmétiques, ménagers… voire les trois comme c’est le cas pour QuelProduit) aux critères d’évaluation choisis, comme la présence d’ingrédients jugés indésirables, le degré de transformation des aliments, l’impact environnemental ou le NutriScore (QuelProduit mentionne ainsi le NutriScore pour chaque produit alimentaire quand Yuka le prend en compte à hauteur de 60% dans sa notation, aux côtés des additifs pour 30% et du caractère bio ou non pour 10%, mais sans l’indiquer clairement). Même la Fédération des entreprises de la beauté a sorti sa propre application de décryptage des ingrédients, baptisée Claire. Mais ici, pas question de noter les produits, bien sûr.

 

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