Le Sénat examine mercredi, pour la deuxième fois, la proposition de loi visant à élargir l’accès à l’IVG en France. L’une des mesures proposées par le texte divise la classe politique : l’allongement du délai légal de 12 à 14 semaines. Ce délai pourrait aider les femmes les plus fragiles, mais ne règlera pas à lui seul les difficultés d’accès à l’avortement.
Après de nombreux obstacles, la proposition de loi visant à étendre l’accès à l’avortement sera finalement examinée, mercredi 19 janvier, en deuxième lecture au Sénat. Le texte prévoit notamment l’extension du délai légal d’accès à l’IVG (interruption volontaire de grossesse) de 12 à 14 semaines de grossesse.
Cette mesure a été retenue par les députés, qui ont adopté le texte, le 30 novembre, en deuxième lecture. Comme prévu dans la proposition de loi, les députés ont aussi mis fin au délai de réflexion de deux jours, obligatoire pour confirmer une demande d’avortement après un entretien psychosocial. En revanche, ils se sont opposés à la suppression de la clause de conscience, qui permet aux personnels de santé habilités de refuser de pratiquer une IVG.
La proposition de loi ne faisant pas l’unanimité, les débats s’annoncent houleux au Sénat, qui avait rejeté le texte il y a un an. D’autant que l’extension du délai pour avorter divise le gouvernement et la majorité. Emmanuel Macron s’est dit plusieurs fois opposé à ce nouveau délai. La dernière fois remonte à fin novembre. « Je n’ai pas changé d’avis. Des délais supplémentaires ne sont pas neutres sur le traumatisme d’une femme », avait-il déclaré au journal Le Figaro.
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En revanche, le ministre de la Santé, Olivier Véran, a, lui, affirmé qu’il soutenait l’extension du délai légal de l’IVG, citant un avis favorable rendu par le Conseil national consultatif d’éthique, une instance indépendante chargée de produire des rapports sur des questions éthiques et de société.
« Le délai est à 12 semaines en France. Il est en moyenne à 13 semaines au sein de l’Union européenne », avait expliqué le ministre de la Santé au micro de franceinfo. « Il y a quelques milliers de femmes qui, parce qu’elles ont dépassé le délai de quelques jours, franchissent la frontière pour aller avorter à l’étranger. Le Conseil d’éthique nous dit qu’il n’y a pas de barrière éthique. Il y a un consensus professionnel qui s’est fait jour pour pouvoir allonger ce délai », a-t-il poursuivi.
La précarité, les violences et la jeunesse, des facteurs aggravants
Les chiffres manquent pour pouvoir quantifier le nombre de femmes enceintes qui ne veulent pas garder leur enfant et qui ont dépassé le délai légal pour avorter en France. La gynécologue Ghada Hatem, contactée par France 24, voit régulièrement ces femmes se présenter à la Maison des femmes, une structure d’accueil et de prise en charge qu’elle a fondée en 2016, à Saint-Denis. « Cela concerne au moins un dossier par semaine et cela peut aller jusqu’à trois par semaine », affirme-t-elle, avant de tempérer. « Il n’y a pas non plus des centaines de structures qui acceptent ces dossiers de femmes hors délais ». Car cet accompagnement demande aux équipes « une organisation très particulière, beaucoup de travail et de réunions », explique Ghada Hatem.
La diversité des profils demande de faire du cas par cas. « Les femmes qui arrivent tardivement dans les parcours d’IVG sont souvent des jeunes femmes, des femmes victimes de violences conjugales ou éloignées des centres de soins », explique à France 24 la députée Albane Gaillot (ex-LREM), qui porte la proposition de loi.
Chez les jeunes femmes, la découverte tardive d’une grossesse peut être la conséquence d ‘une « méconnaissance de leur physiologie », ajoute-elle. Chez d’autres, « il y a aussi des cas de méconnaissance des structures, le fait d’être mal orientée, d’être allée vers un professionnel de santé qui finalement ne va pas pratiquer l’IVG », poursuit la députée.
Dans ces cas de figure, et quand les délais sont dépassés, il reste comme possibilité d’accoucher sous X, de garder l’enfant, ou d’avorter à l’étranger. Dans certains cas, une interruption médicale de grossesse est possible à condition que l’on puisse « justifier d’une détresse psycho-sociale » autrement dit, cela concerne « des personnes en situation de danger personnel, de violences, de difficultés psychologiques majeures ou d’extrême précarité, rendant impossible la poursuite de leur grossesse alors même qu’elles dépassent le délai légal de l’IVG de 14 semaines d’aménorrhée (absence de règles) », peut-on lire sur le site internet du Planning familial.
Pour les plus pauvres, « c’est la double peine »
L’avortement à l’étranger se fait généralement aux Pays-Bas, mais aussi en Espagne, où les législations sont plus souples. Aux Pays-Bas, le délai légal pour avorter va jusqu’à 24 semaines de grossesse, tandis qu’il s’étend jusqu’à 22 semaines en Espagne. Mais seules certaines femmes peuvent se permettre de franchir les frontières. « Celles qui peuvent aller à l’étranger, qui ont l’argent, les papiers et qui n’ont pas besoin de l’autorisation de leurs parents, partent, c’est plus rapide et plus simple », explique Ghada Hatem.
« En Seine-Saint-Denis parfois, il y a un petit budget pour compléter si une femme n’a pas tout à fait les moyens pour partir mais cela représente vraiment des petites sommes », poursuit la médecin. Et concernant les plus pauvres, « c’est la double peine : elles peuvent, par exemple, se mettre en danger pour quand même avorter [en prenant des médicaments] ou garder leur enfant et cela se passera mal avec lui. On va plutôt vers du malheur en général », rapporte Ghada Hatem.
Pour l’heure, il est difficile de connaître précisément le nombre de femmes qui avortent à l’étranger. Selon un rapport de la délégation aux droits des femmes datant de 2020, entre 3 000 et 5 000 femmes quittent chaque année la France pour mettre fin à leur grossesse. Des chiffres supérieurs à ceux publiés par le Conseil national d’éthique, qui estime qu’entre 1 500 et 2 000 femmes étaient concernées en 2018.
Jointe par France 24, Charlie, qui vit à Marseille, fait partie de celles qui ont franchi les frontières françaises pour avorter. Après une erreur de prise de pilule combinée à une « hyperfertilité » à l’époque inconnue, la jeune femme, qui était alors âgée de 18 ans, est tombée enceinte et ne s’en est pas aperçu. « J’avais des pertes de lait à partir de mi-juillet, alors je suis allée voir un endocrinologue. Il pensait que j’avais un cancer des ovaires, alors il m’a conseillée d’aller voir un gynécologue, ce que j’ai fait. La gynécologue a fait une échographie et m’a annoncé que j’étais enceinte de 5 mois et demi », se souvient-elle.
Deux possibilités se sont alors offertes à Charlie : accoucher sous X ou avorter à l’étranger. Craignant que son enfant grandisse en foyer, elle a choisi la deuxième option. Après avoir contacté plusieurs antennes du Planning familial, elle a réussi à obtenir une aide de 1 000 euros pour financer un peu moins de la moitié du coût de l’opération, programmée en Espagne. Après des rendez-vous sur place avec un gynécologue et un psychologue, les médecins ont procédé à l’avortement par opération. « Après deux heures en observation, je suis sortie de l’hôpital et je suis rentrée chez moi le lendemain », raconte Charlie.
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Depuis cette expérience, elle pense qu’en France, « le délai maximal pour avorter est bien trop insuffisant parce qu’on ne peut pas toujours détecter la grossesse ». « J’ai appris l’existence du déni de grossesse. On ne m’en avait jamais parlé avant. Il faut mieux informer les gens sur la sexualité, la grossesse, la contraception et déculpabiliser les femmes d’avorter », réclame-t-elle.
Pour Albane Gaillot, l’allongement de l’échéance pour avorter n’est pas une solution miracle pour améliorer l’accès à l’IVG en France. Elle pointe « le manque de structures adaptées » et le fait que « les médecins et gynécologues obstétriciens soient mal formés à l’IVG ».
La proposition de loi débattue mercredi prévoit que « les sages-femmes puissent réaliser des IVG chirurgicales dans les hôpitaux et cliniques pour faire face à l’important manque de praticiens médecins ». D’autres mesures seront débattues, comme celle qui prévoit d’autoriser de façon permanente – et non seulement pendant la crise sanitaire – l’IVG médicamenteuse en ville à 7 semaines de grossesse, contre 5.
Selon Albane Gaillot, « ces leviers d’action sont nécessaires » car « mener une grossesse à son terme contre son gré, c’est ça qui est traumatisant ». En évitant ce scénario, Charlie estime qu’elle a « eu de la chance ». « Malgré la douleur atroce que j’ai ressentie, ma mère m’a accompagnée en Espagne, j’ai été entourée et aujourd’hui, je suis en bonne santé », confie-t-elle.
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