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Une girafe réticulée mâle dans le centre du Kenya, près d’Isiolo, en juillet 2021. TONY KARUMBA / AFP
Le Kenya est réputé pour ses étendues de savane où cohabitent les « Big Five », symboles du safari africain où l’on trouve le lion, le léopard, l’éléphant, le rhinocéros et le buffle. Aujourd’hui, quatre de ces espèces sont classées comme vulnérables ou menacées de disparition. La cinquième, le buffle, n’en est pas encore là, mais l’animal est aujourd’hui l’un des plus durement touchés par la sécheresse qui sévit dans le nord du pays.
« C’est un grand ruminant, donc il est très faible quand il n’y a pas d’herbe. Parfois, il se retrouve aussi coincé dans la boue des points d’eau presque à sec au point de mourir sur place », explique Sharmake Yussuf, président de la réserve naturelle et communautaire de Sabuli, dans le comté de Wajir.
Après trois saisons des pluies décevantes dans le nord du pays, la vie sauvage et les herbivores en particulier souffrent du manque de ressources et de l’insécurité exacerbée qui en découle, devenant la proie des chasseurs. « Nous avons perdu entre dix et quinze zèbres de Grévy. Pour n’importe quelle autre espèce ce n’est pas important, mais quand il ne reste que 3 000 de ces animaux vivants à travers le monde, chaque perte compte », déplore David Kimiti à propos de cette espèce en danger qui vit au Kenya et en Ethiopie.
Le Grevy Zebra trust (GZT), dont il est directeur adjoint à la recherche, a distribué quotidiennement du fourrage supplémentaire aux troupeaux sauvages d’août à décembre 2021, en surveillant leur état physique et l’évolution de la végétation. Les personnels de la réserve de Sabuli ont, quant à eux, organisé des distributions d’eau par camion en novembre et décembre.
Mourir de faim, de soif, de maladie
La dernière période humide, la plus importante des deux saisons annuelles dans cette partie du pays, se déroule traditionnellement d’octobre à décembre mais a été tardive et éparse cette année dans les comtés de Garissa, Wajir, Mandera, Isiolo, Marsabit, Samburu et Turkana. Alors que le pays entre maintenant dans la saison sèche, « là où nous opérons à Marsabit, Samburu et Isiolo, certaines zones n’ont eu que de très faibles précipitations ces deux dernières années, au point que la population dit qu’il n’a pas plu du tout », commente Antony Wandera, chargé de la surveillance des animaux pour le North Rangelands Trust (NRT), une organisation regroupant les quarante-trois réserves communautaires du nord et de la côte.
Dans ce contexte, les animaux sauvages périssent de faim et de soif, mais aussi de maladie, la malnutrition les rendant vulnérables. « Quand le temps est vraiment sec et qu’il y a une concentration d’animaux qui se nourrissent directement sur la terre, c’est vraiment dangereux », analyse Antony Wandera, en faisant notamment référence à l’anthrax, une infection à staphylocoque qui peut se transmettre à l’homme.
Le conservatoire de Sabuli a fait le décompte des pertes au sein de la réserve entre août et janvier : trente-cinq girafes, trente-huit oryx, treize gazelles de Waller (antilopes au long coup), huit petits koudous (antilope aux cornes en spirales), cinquante-deux phacochères et quatre autruches. Sur toute la région du nord-est, plus de deux cents girafes, dont les réticulées en voie d’extinction, ont succombé entre octobre et décembre 2021.
Mais ce sont avant tout les hirolas, surnommées « l’antilope à quatre yeux », qui préoccupent Sharmake Yussuf, également président de l’Association des conservatoires du nord-est (NECA) : « Il n’y en a plus que cinq cents dans le monde, toutes dans le nord du Kenya. Nous en avons perdu environ trente en 2021, c’est 6 % de leur population. »
La sécheresse attise les tensions
Cette situation aurait-elle pu être évitée ? « On ne peut pas gérer complètement le problème de la sécheresse, car les saisons changent et les prévisions météorologiques se révèlent parfois fausses », reconnaît Edwin Wanyonyi, directeur de la stratégie pour le Kenya Wildlife Service (KWS, l’agence gouvernementale de protection de la faune). A défaut, un effort particulier est mené pour améliorer la cohabitation entre les hommes et les animaux sauvages.
Les spécialistes de la conservation impliquent les communautés locales dans la protection de la nature pour accroître leur niveau de tolérance envers les animaux. Ce mouvement national porte ses fruits avec une réduction du braconnage des éléphants et rhinocéros de 90 % entre 2012 et 2019 d’après un sondage du KWS. Mais le Covid-19 et la sécheresse sont en train d’inverser la tendance.
« Quand les gens deviennent désespérés, ils recherchent n’importe quel moyen pour s’en sortir », explique David Kimiti. Les girafes du comté de Wajir sont notamment visées. Sharmake Yussuf détaille : « Des braconniers viennent de Somalie, tuent les animaux et vendent la viande là-bas. » Certains lui ont confié gagner environ 1 800 shillings (quelque 14 euros) par kilo.
La sécheresse attise les tensions et les organisations de protection de la faune ont parfois du mal à accéder aux espaces où se trouvent les animaux. « Il est arrivé qu’un de nos véhicules se fasse tirer dessus alors que nous sommes des acteurs neutres. Cela nous force à être prudents », évoque David Kimiti.
Après les faibles précipitations de décembre, l’aridité ne cesse de gagner du terrain dans le nord du Kenya. Les organisations locales espèrent désormais des pluies intersaisonnières ou une saison des pluies printanière précoce pour pouvoir assurer leur mission de conservation.
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