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En Ethiopie, le Tigré pilonné par les drones de l’armée fédérale

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Des forces pro-gouvernementales à Hayk, dans le nord de l’Ethiopie, le 13 décembre 2021. AMANUEL SILESHI / AFP

Les combats dans la province du Tigré ne sont pas terminés, contrairement à ce que voudrait faire croire le gouvernement éthiopien. Le premier ministre Abiy Ahmed déclarait vendredi 7 janvier qu’il allait « mettre un terme à cette guerre de manière pacifique en se basant sur les principes d’humilité éthiopienne ».

Quelques heures plus tard, à 600 kilomètres au nord de la capitale Addis-Abeba, les drones de son armée fédérale bombardaient un camp de déplacés de Dedebit, dans le centre du Tigré, tuant au moins cinquante-neuf civils. Et une autre frappe, lundi 10 janvier, a coûté la vie à dix-sept personnes dans le sud de la province, près de la ville de Mai Tsebri, selon des sources humanitaires et hospitalières.

Cet écart entre le discours et les actes est à l’image de la nouvelle phase dans laquelle est entrée la guerre civile éthiopienne : ambivalente. A partir de la mi-décembre, les rebelles des Forces de défenses tigréennes (TDF) se sont progressivement retirés vers leur région après avoir subi plusieurs revers.

Depuis, les deux armées se font face aux frontières du Tigré. Les forces pro-gouvernementales ont établi un cordon autour de la province, Abiy Ahmed ne souhaitant pas poursuivre les insurgés au sein de leur territoire. Peut-être pour éviter une nouvelle guérilla dans les montagnes de la région, ou, comme il l’écrit dans un communiqué paru le 24 décembre, pour éviter « que les communautés locales [tigréennes] attaquent l’armée [éthiopienne] dans son dos ».

Eventuels pourparlers

Pourtant, certains partenaires internationaux jugent la situation actuelle plutôt propice à d’éventuels pourparlers. En effet, pour la première fois depuis le début du conflit, les deux parties sont quasiment cantonnées à leurs territoires respectifs, l’une des conditions préalables à toute négociation.

Autre motif d’espoir : la volonté publiquement affichée par les deux camps de mettre un terme à la guerre. Dans une lettre adressée au secrétaire général des Nations unies le 19 décembre, Debretsion Gebremichael, le leader du Front de libération du peuple du Tigré (TPLF) – la matrice politique des TDF – appelait à la mise en place d’un cessez-le-feu.

Abiy Ahmed, après avoir arrêté ses troupes aux portes du Tigré, a décidé de libérer une trentaine d’opposants politiques pour entamer un dialogue national de réconciliation. Parmi eux, six membres du TPLF, pourtant placé sur la liste des organisations terroristes par le Parlement.

Si sa priorité reste de « protéger [sa] victoire militaire par tous les moyens possibles », il affirme dans un communiqué paru le 8 janvier qu’en « second lieu, nous allons entériner la victoire par des initiatives politiques et pacifiques ».

« Phase relativement constructive »

S’agit-il, enfin, des prémisses d’une véritable négociation ou d’une énième trêve avant une nouvelle reprise des hostilités ? Selon un diplomate américain, la prudence est de mise : « La trajectoire du conflit a été instable depuis son commencement. (…) Ces derniers jours, le premier ministre a commencé à envoyer des signaux plus positifs. La partie tigréenne s’est également engagée publiquement à dialoguer. En revanche, compte tenu de ce que l’on a vu dans le passé, il est difficile de savoir combien de temps durera cette phase relativement constructive. »

Un doute légitime au vu des derniers événements. Les discours de bonnes intentions ne sont pas suivis d’effets sur le terrain militaire. La semaine a été le théâtre d’affrontements de faible intensité sur les différents fronts au Tigré.

« Quelques attaques terrestres menées par les forces tigréennes ont débouché sur des escarmouches, ce à quoi le gouvernement répond par des frappes aériennes, décrypte le chercheur indépendant Mengistu Assefa, rattaché à la New Generation University d’Addis-Abeba. Tout cela pourrait saboter la fenêtre d’opportunité pour un cessez-le-feu. »

Les frappes aériennes sont devenues monnaie courante de la part d’Addis-Abeba, qui s’est récemment doté d’un arsenal de drones. Le gouvernement d’Abiy Ahmed utilise une flotte d’aéronefs turcs, iraniens et chinois, acquis pendant l’été pour contrer l’offensive des TDF, qui se sont approchés en novembre à moins de 200 kilomètres de la capitale éthiopienne.

Regain de violence

D’après un décompte humanitaire, ces bombardements ont tué au moins 202 civils au Tigré depuis la mi-octobre. Le dernier, mardi 12 janvier, a fait deux morts dans les environs de Mekele, où se trouvait un peu plus tôt dans la journée l’émissaire de l’Union africaine pour la Corne de l’Afrique, Olusegun Obasanjo. L’ancien président nigérian s’y entretenait avec le leadership tigréen. Une source diplomatique occidentale assure que l’envoyé s’y était rendu avec des propositions concrètes des autorités éthiopiennes.

La situation sur le terrain est aussi brouillée par l’implication d’Asmara. L’Erythrée voisine, engagée depuis novembre 2020 aux côtés de l’armée éthiopienne contre les rebelles tigréens, est accusée par les TDF de mener des attaques dans le nord de la province. L’agence humanitaire des Nations unies (OCHA) confirme un regain de violence.

Lors d’une interview fleuve à la télévision nationale le 8 janvier, le président érythréen Isaias Afwerki affirmait que « cet élément perturbateur [TPLF] devait être neutralisé pour l’existence future de l’Erythrée ». Fataliste, le diplomate américain déjà cité regrette « le rôle non constructif » d’Asmara dans la crise.

En outre, cette nouvelle phase de la guerre perturbe l’approvisionnement humanitaire, alors qu’au moins 400 000 personnes vivent dans des conditions proches de la famine au Tigré, selon les Nations unies. Des agences humanitaires ont suspendu leurs activités dans le nord-ouest de la région après les frappes aériennes du gouvernement éthiopien.

Les agences onusiennes disent manquer de médicaments et d’essence pour porter assistance aux Tigréens, qui sont à nouveau coupés du monde. La province est sous blocus total. Aucun convoi humanitaire n’a été autorisé à entrer dans la région depuis le 15 décembre.

Source

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