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Ibrahim Aladji, artisan de la ville de Garoua, la capitale régionale de la province Nord du Cameroun, en janvier 2022. DESY DANGA POUR « LE MONDE »
Ibrahim Aladji tient entre ses mains une case obus miniature en bois, cet habitat typique des communautés du nord du Cameroun et du Tchad. « C’est une maison ronde des peuples mousgoum et kotoko, explique l’homme âgé de 40 ans. Elles sont faites en majorité en terre battue. Aujourd’hui, elles sont en train de disparaître. » Armé d’une brosse qu’il plonge dans une pâte à cirage marron, il enduit la pièce. Puis, à l’aide d’un marqueur, il décore la minuscule porte où pendent deux clefs.
Ibrahim est un artisan de la ville de Garoua, la capitale régionale du Nord du Cameroun. « J’essaie de perpétuer la tradition pour qu’elle ne meurt pas », explique-t-il, sans lever les yeux. Outre les reproductions de maisons anciennes, « je fabrique des chaussures samara [sandales en peau de mouton], des colliers et bracelets en perles ».
Ce samedi 8 janvier, le temps presse. Garoua accueille les équipes du groupe D (Egypte, Nigeria, Soudan et Guinée-Bissau) de la Coupe d’Afrique des nations (CAN) de football. Le premier match opposant l’Egypte au Nigeria doit avoir lieu mardi 11 janvier. Au centre artisanal de Garoua, les artisans comme Ibrahim comptent sur les visiteurs pour faire de « grandes ventes après des années à survivre ».
Depuis 2014, les exactions de la secte islamiste Boko Haram dans la région voisine de l’Extrême-Nord ont durement affecté le tourisme dans les trois régions septentrionales du Cameroun : le Nord, l’Adamaoua et l’Extrême-Nord. Les attaques de groupes rebelles centrafricains dans l’Adamaoua et une partie du Nord ont encore accru les difficultés.
« Spectateurs, touristes, joueurs… »
Le secteur vivotait jusqu’à l’irruption, en 2020, de la crise sanitaire. « Le Covid-19 est venu nous enterrer. Même les rares étrangers qui passaient ont disparu. C’était la catastrophe », se souvient Ibrahim. Ne restait plus que l’espoir de voir arriver la CAN. Lorsque le tournoi a été reporté de 2021 à 2022 à cause de la pandémie, il s’est « beaucoup inquiété et a prié ».
Mais dès qu’il a été sûr que la compétition aurait bien lieu, il a investi plus de 350 000 francs CFA (plus de 530 euros), toutes ses économies, dans l’achat de matériel. Il a quintuplé sa production mensuelle de cases miniatures en bois et terre cuite, passant de trois en moyenne à quinze, et triplé celle des bracelets en perles. « Il y aura des spectateurs, des touristes, des joueurs, des membres des équipes… J’espère faire recette grâce à eux », avance-t-il.
Au marché artisanal de Garoua, la capitale régionale de la province Nord du Cameroun, en janvier 2022. DESY DANGA POUR « LE MONDE » Exemplaires des étuis pour épées fabriqués par Boubakary Garga à Garoua, en janvier 2022. DESY DANGA POUR « LE MONDE »
Ousmanou Tchideme, un commerçant qui a dépensé près d’un million de francs CFA (quelque 1 500 euros) pour se ravitailler auprès d’artisans des villages environnants, exprime le même espoir teinté de crainte. « J’ai du stock. Il ne manque plus que les clients. J’espère tout vendre », espère-t-il en montrant les objets qui débordent de son stand.
Dans ce centre sont exposés chaises traditionnelles, calebasses colorées, masques ou instruments de musiques. D’après Garda Boubakary, qui représente les vingt-cinq artisans et vendeurs d’art du lieu, tout le monde « a au moins doublé ses productions » pour la CAN, notamment parce que les touristes achètent « plusieurs objets, ce qui augmente la marge bénéficiaire. Le tout au prix taxé sans demander de réduction ».
Plus de cent artisans
« Nous espérons qu’ils viendront apprécier notre savoir-faire », poursuit ce presque octogénaire qui se présente comme le « dernier fabricant d’étui pour épée à Garoua ». Ses clients sont majoritairement les chefferies traditionnelles. Durant les matchs, les chefs seront de sortie avec leurs notables. Garda espère donc faire du chiffre. « L’organisation de la CAN nous a aussi donné un stand au stade où nous allons exposer nos créations. Les clients pourront acheter sur place ou venir dans notre centre », sourit-il.
Non loin de là, au village artisanal régional de Garoua, c’est la même ambiance. La majorité des trente-cinq artisans permanents y sont spécialisés dans le textile : couture, teinture, broderie, tissage. Eux aussi se sont activement préparés à la CAN. Des espaces ont été aménagés pour accueillir quatre-vingts artisans supplémentaires.
L’étal de Moumini Aoudou au marché artisanal de Garoua, en janvier 2022. DESY DANGA POUR « LE MONDE »
Ousmane Mohaman, le coordonnateur du village, vise notamment « la forte communauté nigériane », la région du Nord partageant une frontière avec le Nigeria. « Il y aura un nombre impressionnant de visiteurs. C’est une occasion de faire de bonnes affaires », assure-t-il.
Mamadou Djingui se prépare depuis le mois d’août 2021. Aidé de ses employés, il a confectionné plus de 300 tenues et sacs traditionnels pour hommes et femmes, fabriqués à base de coton local pour un coût total de 800 000 francs CFA (quelque 1 200 euros). Il espère les vendre afin de « renflouer ses caisses vides ».
Haouaoua Nene, 55 ans, a également misé toutes ses économies dans sa production : 300 litres de beurre de karité, 40 litres d’huile de neem et 10 litres d’huile de sésame. « Je fais de la transformation depuis plus de quinze ans. Je n’ai jamais produit autant de beurre de karité. J’espère vraiment que les visiteurs vont acheter », souligne-t-elle.
Au-delà de la CAN, les artisans espèrent aussi profiter de l’occasion et des visites des officiels sur leurs stands pour évoquer leurs difficultés. « Il ne suffit pas de nous financer. Même si le financement est important pour nous, s’empresse de préciser Garda Boubakary, président des artisans du centre. Il faut surtout qu’on trouve des voies et moyens pour que nous puissions vendre nos produits. »
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