Editorial du « Monde ». Le feu couve de nouveau en Bosnie-Herzégovine. Les raisons de la crise politique sont connues depuis trente ans : indépendant depuis 1992 au même titre que les autres anciennes républiques yougoslaves, ce pays est la proie de ses deux puissants voisins, la Serbie et la Croatie, qui n’ont pas renoncé à diviser son territoire au nom de l’homogénéité ethnique. Si la Bosnie n’était composée que de Serbes et de Croates nationalistes, la question serait probablement réglée depuis longtemps ; mais elle compte aussi une importante communauté de Bosniens musulmans et, par ailleurs, un certain nombre de citoyens de toutes les communautés, comme à Sarajevo, qui croient encore en un pays multiethnique.
Le projet serbe à l’origine de la crise actuelle ressemble à une terrible répétition de ce que la Bosnie a connu il y a trois décennies. L’élu serbe à la présidence tripartite du pays, Milorad Dodik, homme fort de la République serbe (RS) – l’une des deux « entités » du pays, avec la Fédération croato-bosniaque –, a fait adopter le 10 décembre par le Parlement de Banja Luka des résolutions qui impliqueraient une sortie des institutions bosniennes dans un délai de six mois, au 10 juin. Il menace de recréer des institutions bosno-serbes parallèles, notamment une armée.
Le projet séparatiste de M. Dodik n’est pas très différent de ce que son lointain prédécesseur, Radovan Karadzic, avait réalisé au début des années 1990 en créant la RS, avec le soutien de la Serbie. A l’époque, cela avait valu à la Bosnie quatre années de guerre, le siège de Sarajevo, cent mille morts et deux millions de réfugiés. M. Dodik se défend en affirmant que son projet est pacifique.
Le dirigeant bosno-serbe a toutefois utilisé, dimanche 9 janvier, l’anniversaire de la création de la République serbe – une célébration elle-même « anticonstitutionnelle » en Bosnie – pour faire défiler dans les rues de Banja Luka des hommes en armes.
Vive tension
La triste fête révisionniste, qui a lieu chaque année, s’est transformée en défilé paramilitaire avec, outre des « forces de police » bosno-serbes à l’aspect militarisé, la présence remarquée d’une milice russe issue des Loups de la nuit, le club de bikers préféré du maître du Kremlin. Par ailleurs, partout en RS et jusqu’en Serbie voisine, des parades ultranationalistes ont eu lieu et des manifestations d’islamophobie ont embrasé certaines villes.
La tension est vive. Milorad Dodik a, outre le soutien de la Serbie, l’appui de la Croatie, qui y voit une occasion d’en finir avec l’autre « entité » du pays, la Fédération croato-bosniaque, et donc elle aussi avec la Bosnie-Herzégovine en tant qu’Etat. Il bénéficie par ailleurs du soutien appuyé de la Russie de Vladimir Poutine, de la Chine et, au sein de l’Union européenne (UE), de dirigeants nationalistes tels que ceux de Hongrie, de Pologne et de Slovénie.
Il reste cinq mois pour éviter un nouveau conflit. Les Etats-Unis, parrains du traité de paix de 1995, ont adopté des sanctions à l’encontre de M. Dodik, qui n’en a cure. L’UE, désormais responsable du suivi de l’accord de paix, est pour le moment étrangement absente. Ni Bruxelles ni Paris – qui assure la présidence de l’UE jusqu’à fin juin – ne paraissent chercher à peser dans la crise, sauf pour se reposer sur Belgrade et Zagreb à la recherche d’une vaine « stabilité ». Le compte à rebours est pourtant enclenché. Et, en Bosnie, on craint qu’à tout moment un incident violent ne vienne rallumer l’incendie meurtrier.
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