Tribune. Parmi les sujets qui touchent à la lutte contre le terrorisme, certains demeurent dans l’angle mort de nos consciences comme de nos politiques car l’émotion, l’irrationalité et la peur président le plus souvent à leur traitement. Il en est ainsi du sort des 200 enfants, actuellement détenus sans droit, parfois depuis plus de trois ans, dans les camps du Nord-Est syrien. Les deux tiers de ces enfants avaient moins de 6 ans en y entrant, beaucoup y sont nés. Ils ont donc passé toute leur enfance, du moins la plus grande partie, entre des grillages et des barbelés.
Leurs conditions de vie, là où ils se trouvent désormais retenus, sont désastreuses : tous portent les stigmates de leurs blessures et de leurs traumatismes et rares sont ceux qui reçoivent des soins appropriés ou sont scolarisés. Beaucoup d’entre eux, au cours de l’été 2020, ont été enfermés dans une prison souterraine durant des semaines, sans jamais voir le jour. Entre décembre 2018 et septembre 2019, dans le seul camp de Al-Hol, 339 enfants sont morts de malnutrition, de froid ou de maladie. Du 1er janvier au 1er septembre 2021, plus de 60 enfants sont morts dans les camps du Nord-Est syrien.
Quelques rapatriements ont eu lieu, au compte-gouttes, mais plus aucun depuis le 13 janvier 2021, et il reste aujourd’hui au moins six orphelins français dans le camp de Roj. Par-delà les considérations humanitaires, qui suffiraient à justifier qu’on s’inquiète du sort réservé à ces enfants, il ne fait guère de doute que le refus de les rapatrier pour mieux les suivre et les protéger de leur milieu, comme l’impossibilité dans un tel contexte de juger leurs parents, placerait la France, mais aussi d’autres pays européens, devant un risque sécuritaire majeur : ne pas agir nous expose au danger de la reconstitution de groupes terroristes et à des retours incontrôlés. Ce constat est partagé à l’échelle internationale par les plus grands spécialistes de l’antiterrorisme, et a conduit le coordonnateur des juges antiterroristes français à appeler à une « volonté politique de rapatriement », véritable « enjeu de sécurité publique et de justice à long terme ».
L’indifférence à la dignité humaine, le recul des principes essentiels, la confusion générale et, sur les réseaux sociaux, la libération décomplexée de la méchanceté agressive sont des traits de notre temps. Ils ne peuvent être la marque de notre politique, pas davantage un instrument de mesure de nos intérêts. L’idée si répandue que la fin (notre sécurité) justifierait les moyens (abandonnons-les à leur sort) est contraire à ce qui nous constitue comme individus et comme nation. Elle est de surcroît contraire à l’objectif que nous avons en partage de protéger le pays de toute nouvelle vague d’attentats. Qu’adviendrait-il de ces enfants si nous devions les abandonner à la violence de leur propre milieu, à un environnement incertain, duquel ils seraient en capacité de s’extraire, en retournant contre nous une haine construite dans le temps qui les tient hors d’atteinte et que le ressentiment se serait chargé d’attiser.
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L’article Bernard Cazeneuve et François Zimeray : « Par-delà les considérations humanitaires, le refus de rapatrier les enfants détenus en Syrie nous expose » est apparu en premier sur zimo news.