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Au Royaume-Uni, l’acquittement des “Colston Four” ravive la mémoire de l’esclavagisme

L’acquittement des quatre militants britanniques mercredi, inculpés à la fin de l’année 2020 pour « dommages criminels » après avoir renversé une statue à l’effigie de l’esclavagiste Edward Colston à Bristol, a relancé les débats mémoriels liés à l’esclavage au Royaume-Uni.

Plus d’an et demi après avoir arraché une statue à l’effigie de l’esclavagiste Edward Colston à Bristol, en Angleterre, ceux que les médias locaux ont baptisé les « Colston Four », ont été acquittés mercredi 5 janvier, au terme d’un procès qui aura duré plusieurs mois.

Sous les acclamations d’une foule en liesse, Rhian Graham, Milo Ponsford, Jake Skuse et Sage Willoughby, quatre jeunes militants antiracistes arrachaient à l’aide de cordes, le 7 juin 2020, la statue d’Edward Colston, lors d’une manifestation du mouvement antiraciste Black Lives Matter, en hommage à l’Afro-Américain George Floyd, tué par un policier blanc, avant de la jeter dans les eaux de l’Avon.

Le verdict rendu mercredi a ainsi ravivé le débat au Royaume-Uni autour des symboles de l’esclavage et de la colonisation. À la fois philanthrope et marchand d’esclaves, Edward Colston est depuis longtemps un personnage controversé de l’Histoire britannique. Le procès a révélé que des campagnes sont menées depuis les années 1920 pour que la statue soit retirée ou qu’une explication concernant le contexte historique y soit apposée.

Connue pour avoir été l’une des plaques tournantes de la traite d’esclaves au Royaume-Uni, la ville de Bristol est aujourd’hui réputée pour sa diversité, sa scène artistique dynamique et sa politique progressiste. 

Un marchand d’esclaves prolifique glorifié pour sa philanthropie

La ville de Bristol est imprégnée de mythes et de légendes remontant à l’esclavage qui ont façonné la ville, jusqu’au nom des rues. Les Bristoliens parlent aujourd’hui pas moins de 91 langues et près d’un quart d’entre eux s’identifient à des Britanniques « non-blancs ».

Érigée en 1895, la statue de Colston honorait le marchand et député du 17e siècle. À la même époque, de nombreux bâtiments ont été baptisés de son nom, allant même jusqu’à faire du 13 novembre le « Colston Day ».

« Colston en tant que mythe s’est construit à partir de la fin du 19e siècle comme un citoyen local vertueux », explique à France 24 James Watts, maître de conférences en histoires publiques et créatives à l’université de Bristol.

Marchand à succès, Colston était aussi un généreux philanthrope qui a réalisé plusieurs dons à des écoles, des refuges pour les pauvres, des hôpitaux et des églises à Bristol et dans tout le Royaume-Uni. À sa mort, il a versé plus de 16 millions de livres sterling à des associations caritatives.

Mais si cette facette l’honore, des aspects plus sombres de son histoire jouent en sa défaveur. Le marchand a également joué un rôle actif dans le commerce triangulaire entre l’Afrique, l’Angleterre et ses colonies caribéennes au 18e siècle, en assurant le transport de plus de 84 000 Africains asservis, dont 12 000 enfants, vers les Caraïbes. Quelques 19 000 d’entre eux seraient morts durant la traversée de l’Atlantique, selon le musée de Bristol.

Une fois député, Colston a continué à plaider pour la cause des esclavagistes et à faire campagne pour que le commerce des esclaves se poursuive.

Au lendemain du déboulonnage de la statue d’Edward Colston, des manifestants antiracistes ont recouvert la plaque originale du piédestal d’une pancarte, le 8 juin 2020, en souvenir des esclaves déportés par Colston, à Bristol, au Royaume-Uni. © Kirsty Wigglesworth, AP

Un « malaise » général face à la mémoire de l’esclavagisme

À Bristol, ville également connue pour son histoire de lutte contre les discriminations raciales, les manifestations du mouvement Black Lives Matter ont mis en lumière les différentes facettes de cette figure publique controversée.

« La statue était une tentative d’ »inventer » la tradition et de trouver une figure à rallier qui était perçue comme un philanthrope et une figure aimable. Mais elle ignorait complètement les origines de la richesse de Colston », assure James Watts. « On ne peut ériger un monument public qui honore un marchand d’esclaves sous le seul prisme de la philanthropie, tout en omettant qu’il est marchand d’esclaves. »

>> À (re)voir Le Débat de France 24 : Statues : faut-il faire le tri ?

Peu de temps après le verdict, le groupe « Save our Statues », qui lutte pour la préservation de l’Histoire, a déclaré sur Twitter qu’il s’agissait d’un « verdict honteux qui donne le feu vert au vandalisme politique et établit un précédent pour que quiconque puisse détruire tout ce avec quoi il n’est pas d’accord ».

Tout en refusant de commenter l’affaire, le Premier ministre Boris Johnson a déclaré qu’il n’était pas « correcte » d’essayer de réécrire l’histoire. « Ce que l’on ne peut pas faire, c’est chercher à changer rétrospectivement notre histoire, à l’édulcorer ou à la modifier rétrospectivement. »

« Les vrais délinquants n’étaient pas les « Colston Four », mais la ville de Bristol et ceux qui ont fait tout ce qui était en leur pouvoir pour redorer la réputation d’un meurtrier de masse », a déclaré au Guardian l’historien britannique David Olusoga, qui a témoigné au procès.

Selon James Watts, les réactions passionnées des deux côtés découlent d’une guerre culturelle plus large et d’un « malaise » général face à l’évocation de la mémoire de la traite des esclaves. Elles détournent l’attention d’autres questions, comme les manifestations de Black Lives Matter, qui ont servi de catalyseur au retrait de la statue en premier lieu.

« Ce mouvement est né d’une lutte pour la justice raciale, et non d’une lutte visant à renverser des statues. Bien que la statue ait été et reste un symbole, son déboulonnage ne permet pas en soi de combattre les problèmes très concrets et les discriminations que subissent les populations BAME [Black, Asian and Minority Ethnic] en Grande-Bretagne », ajoute le maître de conférences.

Quel avenir pour la statue d’Edward Colston ?

Quatre jours après avoir été jetée dans les eaux du port de la ville, le conseil municipal de Bristol a repêché la statue pour la restaurer. Encore couverte de graffitis, elle a été exposée telle quelle au musée M Shed de Bristol, en juin 2021.

Pour le musée et le conseil municipal, l’exposition marque le « début d’une conversation » qui, en parallèle de la création de la commission d’histoire « We Are Bristo » – un groupe d’historiens qui travaillent à faire la lumière sur le passé de la ville –  doit permettre de décider de l’avenir de la statue. L’une des premières tâches de cette commission consistera à analyser les résultats d’une enquête menée pendant l’exposition qui vise à sonder l’opinion des visiteurs concernant le futur de la statue.

Pour James Watt, le déboulonnement de la statue de Colston lui confère une nouvelle signification : « Jusqu’en 2020, c’était un artefact d’invention historique, créant l’image d’un philanthrope vertueux. Dorénavant, c’est un artefact international important dans la poursuite des luttes pour la justice raciale ».

Avec cette nouvelle histoire qui s’écrit, la statue semble avoir gagné bien plus qu’une valeur symbolique. « [Un expert en art] a évalué le prix de la statue, avant qu’elle ne soit déboulonnée, à environ 6 000 livres sterling. […] Après son déboulonnement, elle a été estimée aux enchères à 150 000 livres, voire 300 000 livres. Ce qui représente une augmentation considérable. De ce point de vue, l’avons-nous vraiment endommagée ? », estime l’un des quatre militants acquittés, Rhian Graham, interrogée sur Sky News,

La militante antiraciste espère que le conseil municipal de Bristol utilise cet argent pour une nouvelle œuvre publique. « Je pense que l’on devrait vendre la statue à un collectionneur privé et utiliser cet argent pour investir dans une sorte de mémorial. Bristol manque vraiment d’un lieu dédié à la reconnaissance de la traite des esclaves, donc c’est ce que j’aimerais vraiment voir se produire », a-t-elle déclaré à Sky News.

Un point de vue que partage le maître de conférences en Histoire, James Watts, qui souhaite que le verdict des « Colston Four » suscite une nouvelle approche concernant les symboles publics. « Je ne pense pas que cela conduira à des suppressions massives de statues, mais j’espère – bien que je ne sois pas très optimiste – que nous pourrons avoir une conversation mature sur ce que nous voulons honorer dans nos espaces publics. Cela devrait conduire à une prise de conscience publique de certains des héritages britanniques de l’esclavage et de l’impérialisme. »

Traduit de l’anglais par Soraya Boubaya.

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