Statues déboulonnées, bâtiments officiels incendiés, échanges de tirs : la colère a viré à l’émeute, au Kazakhstan, la première semaine de janvier. Des images amateur, vérifiées et géolocalisées par Le Monde, permettent de remonter le fil des évènements qui ont vu plusieurs villes kazakhes s’embraser.
Certaines images contenues dans cet article peuvent choquer.
1er janvier, à Janaozen
Dans une vidéo tournée devant l’akimat, siège de l’administration publique, à Janaozen, un groupe d’une cinquantaine d’hommes récite un court texte face caméra. Il s’agit de la première vidéo de Kazakhs s’opposant publiquement à l’augmentation du prix des carburants décrétée le 1er janvier.
Le jour même, la suppression du plafond du prix du gaz à pétrole liquéfié (GPL) a entraîné le quasi-doublement du prix de cette énergie, utilisée pour 70 % à 90 % des véhicules du pays, selon le Washington Post.
Le lendemain, le 2 janvier, des manifestants se réunissent dans la même ville et ralentissent la circulation sur un rond-point situé juste à côté de l’akimat. Les regroupements prennent de l’ampleur au cours du week-end.
Dans la soirée, la situation évolue, 150 km plus à l’ouest, dans la ville d’Aktaou, chef-lieu régional.
LE MONDE
Nuit du 2 au 3 janvier, à Aktaou
Plusieurs centaines de manifestants sont filmés à la tombée de la nuit, devant l’akimat de la région de Mangistaou, à Aktaou, sur les bords de la mer Caspienne. Plus tard dans la soirée, vers 23 heures, la foule scande « Shal, ket ! » (« dehors, le vieux »), visant directement l’ancien dirigeant, Noursoultan Nazarbaïev, 81 ans, resté vingt-neuf ans au pouvoir. Malgré un simulacre de transition politique, en 2019, l’ancien autocrate et son clan conservent aujourd’hui la mainmise sur une partie des richesses du pays.
Des vidéos montrent que les manifestants restent postés devant l’akimat jusque tard dans la nuit.
Jusqu’à ce moment, les images collectées par Le Monde ne montrent aucune action violente de la part des manifestants : ils chantent, font des sit-in, ralentissent la circulation ou annoncent faire grève.
La situation bascule le lendemain, quand la mobilisation gagne d’autres villes du pays.
4 janvier
Dès le matin du 4 janvier, la situation se tend dans plusieurs localités. Les vidéos que nous avons authentifiées témoignent de manifestations devant l’akimat d’Aktioubé, Atyraou et Kyzylorda.
LE MONDE
A Kyzylorda, des vidéos montrent quelques dizaines de manifestants apostrophant des responsables locaux. Les discussions se tendent quand des protestataires sont forcés à entrer dans des camionnettes des forces de l’ordre.
A Atyraou, sur la place centrale, les forces de l’ordre semblent dépassées par l’agressivité de plusieurs manifestants, qui en viennent aux poings.
A Aktaou, en fin de journée, plusieurs témoins filment des camions et des bus chargés de militaires, faisant route vers l’aéroport.
Au même moment, c’est à Almaty, la capitale économique et la ville la plus peuplée du pays, que les manifestations tournent à l’émeute. Des centaines de manifestants s’en prennent violemment aux forces de l’ordre et jettent des morceaux de mobilier urbain sur des véhicules blindés. Tous font direction vers la place centrale de la ville.
Des soldats sur la place centrale d’Almaty, le 6 janvier 2022. MARIYA GORDEYEVA / REUTERS
5 janvier, à Almaty
Au matin du 5 janvier, de premières images de victimes civiles sont relayées en ligne. Une vidéo diffusée par le média d’opposition Base, dont les fondateurs vivent en exil, laisse voir un homme étendu au sol. Un manifestant tente de lui prendre le pouls. « Regarde son corps, il est mort », lui répond un autre. Dans la journée, plusieurs autres images montrent des cadavres au milieu des rues, dans des mares de sang.
Des images circulent aussi du côté des forces de l’ordre, témoignant de la violence de certains manifestants. Un policier filme son bouclier percé de part en part. Une autre vidéo montre des civils se massant devant un coffre de voiture rempli d’armes à feu.
De nombreux immeubles, dont des bâtiments officiels, sont incendiés.
Le même jour, à Aktioubé, les forces de l’ordre repoussent les manifestants à coups de grenades assourdissantes. A Taldykorgan, une ville de 500 000 habitants, dans l’est du pays, des protestataires abattent une statue de Noursoultan Nazarbaïev, l’ancien autocrate.
A Taldykorgan, la statue de l’ancien autocrate Noursoultan Nazarbaïev a été déboulonnée par des manifestants. VIA YOUTUBE
Après avoir fait état, jeudi 6 janvier, de « dizaines » de morts parmi les manifestants désignés comme des « terroristes [qui] se cachent derrière les femmes et les enfants », le ministère kazakh de l’intérieur a paru faire marche arrière en avançant, vendredi, les chiffres de 26 « criminels armés » tués et de 18 blessés. La veille, le ministère de la santé évoquait un millier de blessés. Dix-huit policiers auraient également été tués, selon les autorités, qui n’ont pas publié leurs noms.
Appelée à la rescousse par le président kazakh, l’Organisation du traité de sécurité collective, l’alliance militaire qui unit le Kazakhstan, la Russie, la Biélorussie, l’Arménie, le Tadjikistan et le Kirghizistan, s’est immédiatement déployée. Au premier rang des troupes engagées : 3 000 soldats russes.
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