Chronique. Paru en 1910, le livre de l’essayiste britannique Norman Angell, La Grande Illusion, succès mondial traduit en vingt-cinq langues, démontrait que les relations économiques entre nations européennes étaient devenues si denses qu’un conflit entre elles ne pouvait éclater. On sait ce qu’il advint quatre ans plus tard. Le 8 mars 2000, dans un discours à l’université Johns Hopkins (Baltimore), Bill Clinton affirmait que l’adhésion de la Chine à l’Organisation mondiale du commerce, qui a effectivement eu lieu en 2001, « [allait] mettre la Chine sur la bonne voie (…). Elle fera[it] sienne l’une des valeurs les plus chères de la démocratie : la liberté économique ». Aujourd’hui, l’« espace indo-asiatique », nouveau mot-valise des stratèges, résonne des bruits de bottes, et les deux plus grandes puissances mondiales mettent en scène avec délectation leur rivalité économique, militaire, idéologique, mais aussi technologique et juridique.
Les économistes et les entreprises multinationales découvrent avec effarement l’ampleur du « retour du politique » dans un monde qu’ils croyaient être devenu « plat », débarrassé des inutiles et coûteuses rivalités de la guerre froide et des frontières, enfin ouvert au « doux commerce » et aux « chaînes de valeur » étendant leurs ramifications industrielles, logistiques, technologiques et financières sur toute la surface du globe. Le changement de paradigme est radical : il s’agit maintenant de se préparer au « découplage », c’est-à-dire à la séparation de l’économie mondialisée en deux espaces rivaux, l’un emmené par la Chine, l’autre par les Etats-Unis. C’est ce à quoi invite, tout en le regrettant – « espérer le meilleur, se préparer au pire » en est l’accroche –, un rapport publié le 9 décembre 2021 par l’Ecole des hautes études commerciales, l’American Chamber of Commerce et le cabinet d’avocats d’affaires DLA Piper, sous le titre « Economic decoupling, our new reality ? ».
Poisons lents de la division
Certes, le retour d’une croissance mondiale émergeant (provisoirement ?) de la crise du Covid-19 pourrait laisser espérer un simple redémarrage du commerce mondial et des chaînes logistiques un temps désorganisées par la pandémie – dont la hausse des prix actuelle ne serait que la conséquence non durable. Mais les auteurs observent que les tendances au découplage étaient manifestes avant la crise pandémique. Ce sont en fait tous les ingrédients de la « mondialisation heureuse » qui se sont transformés en poisons lents de la division géopolitique.
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