Professeure d’histoire américaine à l’université de Chicago, Kathleen Belew est l’une des meilleures spécialistes des mouvements d’extrême droite. Elle est notamment l’autrice de Bring the War Home : The White Power Movement and Paramilitary America (« Ramener la guerre à la maison : le mouvement du “pouvoir blanc” et l’Amérique paramilitaire », Harvard University Press, 2018, non traduit), qui dissèque les caractéristiques du « white power », courant hétérogène au rôle central dans cette promotion de la violence armée.
Que retenez-vous de l’assaut mené contre le Capitole, le 6 janvier 2021, par des partisans de Donald Trump, visant à empêcher la certification des résultats de l’élection présidentielle ?
Cette journée peut être vue comme le point de rencontre entre trois courants extrémistes politiques organisés. Le premier constitue la base des supporteurs de Donald Trump, dont une partie était là pour lui exprimer son soutien. Le deuxième est QAnon, mouvement multiforme reprenant une théorie conspirationniste faite de vieilles idées, telle la cabale imaginaire fomentée par les élites contre les femmes et les enfants. Ce qui est nouveau, avec QAnon, c’est la vitesse et l’intensité de sa radicalisation. Le troisième est le militantisme white power. Même s’il représente une petite fraction des personnes impliquées dans l’insurrection du 6 janvier, ce courant est très organisé, avec des camps d’entraînement, des infrastructures, des armes… Il n’est pas nouveau, il est même bien documenté, mais longtemps, les autorités n’ont pas su y faire face. La rencontre de ces groupes a conduit à la mutation d’un moment d’intensité radicale en quelque chose de plus pérenne.
Pourriez-vous définir le mouvement white power, son organisation et ses méthodes ?
Il s’est formé après la guerre du Vietnam [1955-1975] autour de l’idée de trahison et d’échec du gouvernement fédéral, en rassemblant des groupes qui s’étaient pourtant affrontés par le passé : néonazis, membres du Ku Klux Klan (KKK), résistants radicaux aux impôts, disciples fiévreux de l’identité chrétienne… Puis, dans les années 1980, le mouvement s’est étendu à certains skinheads, à la droite radicale et à de larges parties des milices privées. C’était un mouvement social très diversifié, à la marge, présent dans chaque région américaine avec de solides bases dans les zones rurales et périurbaines.
Le white power s’est organisé en cercles concentriques, capables d’influencer le courant politique traditionnel. Les idées partent du noyau et pénètrent les cercles suivants. Ce noyau est constitué d’environ 25 000 militants endurcis, selon une estimation datant des années 1990. Ces gens vivent pour et par le mouvement, fréquentent des églises white power, dorment chez d’autres militants quand ils voyagent. Ensuite, à l’extérieur, il y a entre 150 000 et 175 000 individus qui participent à des rassemblements et à des marches, font des donations, souscrivent des abonnements à des journaux spécialisés radicaux. Un troisième cercle rassemble environ 450 000 personnes, qui ne s’abonnent pas à ces publications mais les lisent régulièrement, qui ne participent pas à des meetings mais parlent souvent avec des gens qui pensent comme eux.
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