Tous les élevages français d’animaux de ferme et de compagnie doivent désormais compter un référent « bien-être animal », selon un arrêté publié au Journal officiel. Dans les élevages de porcs et de volailles, ces référents seront tenus de suivre une formation attestant de l’acquisition de connaissances en la matière. Un dispositif jugé très insuffisant pour garantir pleinement le bien-être animal, selon la Fondation 30 Millions d’Amis.
Une mesure en trompe-l’œil ? « A compter du 1er janvier 2022, tous les élevages d’animaux domestiques (animaux de rente, de compagnie, équidés) et d’animaux sauvages apprivoisés ou tenus en captivité devront désigner un référent en charge du bien-être animal », indique le ministère de l’Agriculture dans un communiqué (29/12/2021). « Le référent « bien-être animal » peut être le responsable d’élevage lui-même ou une personne qu’il désigne au sein de son personnel », selon l’arrêté du 16 décembre 2021 paru au Journal officiel.
Un texte qui ne tient pas comptes des remarques des ONG de protection animale
Dans le cas des élevages de porcs et de volailles, ce référent devra suivre une formation spécifique, composée d’un « module distanciel commun d’une durée de deux heures » ainsi que d’une formation « consacrant au moins sept heures au bien-être animal ». « Les référents désignés au sein des élevages (…) auront six mois à compter du 1er janvier 2022 pour entamer le parcours de formation, et disposeront de 18 mois pour l’achever », précise le ministère, selon lequel « certaines formations suivies antérieurement pourront être reconnues au titre du parcours de formation ».
Les ONG de protection animale regrettent toutefois de n’avoir pas pu apporter leur contribution au texte final : « Le ministère nous avait adressé le texte pour commentaires, mais nous n’avons pas eu les réponses aux questions que nous avions soulevées », regrette Ghislain Zuccolo, Directeur général de l’association Welfarm pour la protection des animaux de ferme, joint par 30millionsdamis.fr. « On a fait une réunion au ministère qui nous a présenté l’arrêté. Nous n’avions pas été consultés, on nous l’a finalement présenté sans prise en compte de nos remarques », confirme Léopoldine Charbonneaux, Directrice France de l’ONG CIWF.
Une formation utile… mais insuffisante ?
Pour les éleveurs, un animal qui a de bonnes performances (lait, œufs…) a forcément un bon niveau de bien-être.
Ghislain Zuccolo, Welfarm
Des « points positifs » sont malgré tout à saluer dans ce nouvel arrêté : « Cela va renforcer les connaissances des éleveurs en matière de bien-être animal, car ils en ont une vision très partielle, explique G. Zuccolo. Beaucoup ne prêtent attention qu’à la bonne santé des animaux, au fait qu’ils soient bien nourris et à l’ambiance du bâtiment (température, hygrométrie…). Pour eux, un animal qui a de bonnes performances – une vache qui donne beaucoup de lait ou des poules qui pondent beaucoup d’œufs – a forcément un bon niveau de bien-être. » Ainsi, certains exploitants feraient « l’impasse sur les besoins comportementaux des animaux, notamment les interactions sociales – je pense aux veaux, laissés seuls dans leur « boîte » pendant 8 semaines. Les vaches préfèrent le pâturage, les poules ont besoin de picorer le sol, et les porcs se sentent mieux sur de la paille que sur des caillebotis (sol en béton, NDLR) », énumère le responsable de Welfarm, partenaire de la Fondation 30 Millions d’Amis.
La formation prévue doit également fournir aux éleveurs des « outils méthodologiques » pour évaluer le bien-être animal, à l’instar de la méthode « Welfare Quality » basée sur des indicateurs tels que la présence d’abris dans les champs, d’abreuvoirs et d’espaces pour se coucher, mais aussi du nombre de boiteries graves pour les vaches laitières, de la quantité de griffures sur la peau des cochons, ou encore, de la distance de fuite entre l’animal et l’éleveur. Autant de critères objectifs, permettant aux exploitants qui le voudraient, d’évaluer l’impact de leurs pratiques. « Dans le cas des éleveurs de volailles et de porcs, la formation devra obligatoirement être suivie tous les 7 ans. Ce « rappel » ne peut que contribuer à une meilleure application de la réglementation (…) et à renforcer le déploiement des bonnes pratiques sur le terrain », espère G. Zuccolo.
Sans changer les conditions d’élevage des animaux, il est impossible de constater le recul du pire.
Brigitte Gothière, L214
Mais le texte présente de trop nombreux manques pour parvenir pleinement à lutter contre la souffrance animale. « On pourrait souhaiter vivement que l’obligation de formation ne concerne pas uniquement les éleveurs de porcs et de volailles mais tous les élevages, voire les particuliers qui détiennent des animaux », confirme G. Zuccolo qui déplore également l’absence d’autocontrôle du dispositif : « aucun examen ne semble exigé pour assurer une évaluation des acquis. » « Visiblement, la formation est assez légère, une base généraliste, pas forcément spécifique à leur filière. Évidemment, de telles formations peuvent être utiles, c’est à saluer, mais de là à appeler cela « référent bien-être animal »… », glisse de son côté L. Charbonneaux. « Comme pour les RPA (responsables protection animale en abattoir, NDLR), on est dans une formation fantoche, tance Brigitte Gothière, cofondatrice de l’association L214. Sans changer les conditions d’élevage des animaux, il est impossible de constater le recul du pire. »
Les réticences profondes des ONG de protection animale
Il n’est pas défini de responsabilité pour ce référent – si ce n’est de devoir suivre une « formation ».
Léopoldine Charbonneaux, CIWF France
Les ONG de défense des animaux expriment par ailleurs des réticences plus profondes. « Qu’est-il attendu de ces « référents bien-être animal », quelle est leur mission ?, s’interroge G. Zuccolo. L’arrêté précise simplement qu’ils sont chargés de « sensibiliser leurs collègues au bien-être animal ». Mais à aucun moment il n’est écrit que leur rôle serait de signaler les manquements à la réglementation. » « Dans un élevage, en pratique, c’est en fait l’éleveur qui va être celui qui fait la formation, donc on n’est pas du tout dans l’esprit d’un « référent » qui pourrait signaler des problèmes, confirme L. Charbonneaux. Donc très probablement, il n’y aura pas de signalement (…). Il n’est pas défini de fonction ni de responsabilité pour ce référent – si ce n’est de devoir suivre une « formation ». »
En résumé, toutes dénoncent ce statut de « juge et partie » : « Si tant est que les signalements fassent partie du rôle de ces référents, on se doute que le chef d’exploitation ne va pas se dénoncer lui-même, et lorsqu’il s’agit d’un employé, on peut se demander s’il se sentirait en mesure de dénoncer des défaillances, compte-tenu du lien hiérarchique », estime le responsable de Welfarm, s’inquiétant du fait que ces référents ne soient « pas forcément couverts par la loi Sapin protégeant les lanceurs d’alerte ». « Les signalements qui existent aujourd’hui sont rarement suivi d’effet, insiste pour sa part B. Gothière. Prenons l’exemple de Grégory, ouvrier dans l’élevage de cochons de Tremblats dans l’Yonne : il a prévenu sa hiérarchie des coups de tournevis donnés aux cochons, puis les services vétérinaires, puis les gendarmes… aucun effet. Il s’est alors tourné vers L214 et nous avons rendu publiques les images. Le procureur a pu ouvrir une enquête. »
8 animaux sur 10 proviennent d’élevages intensifs
« Si la volonté était réellement de lutter contre la souffrance animale, le gouvernement bannirait les pires pratiques, affirme B. Gothière. Aujourd’hui 8 animaux sur 10 abattus proviennent d’élevage intensif, ces élevages où ils n’ont pas accès à l’extérieur souvent synonymes de forte densité, sélections génétiques affectant la santé des animaux, mutilations etc. » « On est donc de nouveau devant une basique opération de communication » s’irrite la co-fondatrice de L214, dénonçant un dispositif qui tiendrait plus de l’écran de fumée. De son côté, la Fondation 30 Millions d’Amis juge elle-aussi cette mesure largement insuffisante au regard des attentes des citoyens français, alors que plus de 8 personnes sur 10 souhaitent la fin de l’élevage intensif (baromètre Fondation 30 Millions d’Amis /Ifop, 2021). Sur ce sujet – comme sur d’autres thématiques de protection animale – les candidats à l’élection présidentielle sont invités à prendre des engagements forts !
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