Déjà durement touchés par la pandémie de Covid-19, les patients immunodéprimés font face à une nouvelle menace avec l’arrivée du variant Omicron qui a la particularité de rendre la plupart de leurs traitements inefficaces. Dans une tribune adressée à Emmanuel Macron, six associations appellent à une prise de conscience pour protéger ces patients particulièrement à risque.
Dans certains hôpitaux, ils représentent jusqu’à 30 % des séjours en réanimation alors qu’ils sont moins de 300 000 en France… En ce début d’année, six associations représentant des patients immunodéprimés ont lancé un appel à l’aide au président de la République dans le Journal du dimanche (JDD), dimanche 2 janvier, pour une meilleure prise en charge de ces personnes particulièrement fragiles.
Avec la reprise épidémique du Covid-19 en France, ces patients aux systèmes immunitaires affaiblis, du fait d’une greffe, d’une maladie chronique, de la prise de certains médicaments, de l’âge ou parfois de manière héréditaire, abondent dans les services d’urgence dédiés au coronavirus.
“La grande majorité des cas qui arrivent en réanimation sont des non-vaccinés : 7 sur 10 environ. Nous avons également des personnes vaccinées mais immunodéprimées, donc fragiles, ainsi que des personnes à distance de leur deuxième dose et qui n’ont pas encore fait le rappel”, explique le professeur Gilles Pialoux, chef du service des maladies infectieuses et tropicales à l’hôpital Tenon (AP-HP), interrogé par France 24.
Un constat partagé par Pierre Tattevin, chef du service des maladies infectieuses du CHU de Rennes : “Après les non-vaccinés, les immunodéprimés sont la deuxième catégorie de patients la plus importante en réanimation. La difficulté est que la vaccination marche moins bien, voire très mal chez certains d’entre eux. Avec l’arrivée de nouveaux variants plus résistants au vaccin, le risque pourrait devenir encore plus important pour cette catégorie de patients. »
Efficacité aléatoire des vaccins
Si l’efficacité des vaccins est désormais bien connue sur la population générale, il n’en va pas de même pour les immunodéprimés. Ces derniers, comme les femmes enceintes et les enfants, ont été exclus de la phase 3 des tests de vaccins sur des grands échantillons de population, car jugés plus vulnérables.
Depuis, plusieurs études ont été menées sur cette catégorie de patients, comme à l’Institut de cancérologie Sainte Catherine d’Avignon. “Dès février dernier, nous avons lancé un essai clinique sur 90 patients immunodéprimés et nous avons constaté de grosses disparités dans les résultats”, explique le directeur, Roland Sicard, contacté par France 24.
“Certains patients avec cinq doses n’ont pas développé d’anticorps alors que d’autres en ont dès la deuxième. Plusieurs études rejoignent aujourd’hui nos conclusions : le vaccin a une efficacité aléatoire sur cette catégorie de patients sans que l’on sache à ce stade pourquoi, ce qui en fait une population particulièrement à risque face au Covid-19 et rend leur suivi médical très compliqué.”
Roland Sicard n’en fait pas mystère : l’arrivée du variant Omicron représente une source de stress supplémentaire pour les patients immunodéprimés. Car si, face à ce variant, le vaccin conserve une forte efficacité contre les formes graves sur la population générale (70 %, contre 90 % pour Delta), le niveau d’inefficacité vaccinale pourrait encore s’accroître chez les personnes aux systèmes immunitaires affaiblis.
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Traitements inefficaces
Outre sa plus grande résistance au vaccin, le variant Omicron représente une autre menace pour les patients immunodéprimés. Plusieurs études récentes indiquent qu’il rend la plupart des traitements à base d’anticorps monoclonaux inefficaces.
“Ces traitements servent à amener des anticorps chez les personnes fragiles. Ils peuvent être utilisés en mode curatif pour les personnes fragiles atteintes du Covid-19 mais également de manière préventive chez les personnes immunodéprimées déjà vaccinées quatre fois mais n’ayant pas développé d’anticorps. Dans ce cas, le traitement permet de pallier l’inefficacité vaccinale”, explique Éric Bulleux, médecin et président de Transhépate, la fédération nationale des transplantés hépatiques.
Parmi les neuf types d’anticorps monoclonaux actuellement utilisés, une récente étude de l’Institut Pasteur conclut que six “perdent totalement leur activité antivirale, et les trois autres sont de 3 à 80 fois moins efficaces contre Omicron par rapport à Delta”.
“Jusqu’ici, les doses étaient disponibles mais nous avions des difficultés à avoir accès à ces traitements à cause de problèmes d’organisation et du manque de personnel lié au Covid-19”, souligne Éric Bulleux. “L’arrivée d’Omicron complique encore notre situation car le traitement Ronaprève, le plus accessible aujourd’hui en France, est désormais inefficace.”
Appels à une prise en charge individualisée
Dans leur tribune commune publiée par le JDD, les six associations représentant les personnes immunodéprimées – dont Transhépate – appellent le chef de l’État à développer des réponses adaptées pour “protéger les plus fragiles” et à accélérer la recherche et l’approvisionnement de nouveaux traitements.
“Vingt-cinq à trente pourcents des transplantés hépatiques n’ont pas du tout d’anticorps malgré leurs quatre doses de vaccins. Sans la possibilité de traitement, ils n’ont aucune protection face au Covid-19 et sont condamnés à vivre prostrés chez eux”, souligne Éric Bulleux. Lui-même explique avoir largement renoncé à toute vie sociale et communiquer aujourd’hui quasi exclusivement par écran interposé.
“En tant que président de la fédération et médecin, je reçois beaucoup d’appels de personnes en détresse psychologique, perdues, car les messages généraux du gouvernement ne correspondent pas à nos situations. Il est grand temps que les pouvoirs publics développent des campagnes de sensibilisation spécifiques à l’égard des personnes fragiles”, assène-t-il.
Roland Sicard, le directeur de l’Institut de cancérologie Sainte Catherine d’Avignon, s’inquiète lui aussi du risque de marginalisation des patients immunodéprimés. “Ces personnes fragiles ne peuvent aller dans les services où se trouvent des patients Covid-19 et cela devient de plus en plus difficile avec la progression de la pandémie. À cela s’ajoute la déprogrammation de certaines opérations par manque de personnel et des retards de suivi qui occasionnent parfois, pour les plus fragiles, des pertes de chance”, déplore-t-il.
“Avec la progression de la pandémie, on compte aujourd’hui sur l’immunité collective. Mais il faut bien comprendre que cette situation est impossible pour les immunodéprimés, qui ont besoin, eux, d’un suivi de long terme, personnalisé, avec des tests réguliers pour évaluer leur niveau de protection. Certes, cette approche ne correspond pas à la logique nationale qui vise à fixer des règles pour tout le monde, mais c’est la seule solution. Cette approche personnalisée se développe à l’échelle des hôpitaux, il faut maintenant que l’État l’institutionnalise”, plaide Roland Sicard.
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