LETTRE DE LONDRES
Rien de tel qu’une belle histoire pour distraire les Britanniques de la vague Omicron. Des millions d’entre eux ont vibré (et probablement un peu pleuré) grâce à la dix-neuvième saison du concours de danse « Strictly Come Dancing » et à son final en apothéose, le 18 décembre, qui a couronné Rose Ayling-Ellis. Cette jeune femme de 27 ans, sourde de naissance, leur a servi une leçon de ténacité et d’espoir. Son succès populaire montre aussi à quel point le handicap est désormais accepté et même valorisé outre-Manche, du moins dans les médias.
« Strictly Come Dancing » est un des programmes phares de la BBC. Diffusé le samedi soir, il oppose des couples formés d’un professionnel et d’un amateur enchaînant tango, cha-cha-cha ou salsa sur une piste de danse étincelante. Stars du petit écran et même politiques se sont affrontés dans ce programme familial pour gagner le trophée – une boule à facettes montée sur pied. Parmi les moments mémorables, le final magnétique de Caroline Flack, la présentatrice de la série de téléréalité « Love Island » en 2014 (elle a tristement mis fin à ses jours en 2020) ou l’interprétation du tube coréen Gangnam Style par l’ex-député travailliste Ed Ball en 2016.
Ed Ball avait une sacrée présence sur le dance floor et il a tenu jusqu’à la dixième semaine de la quatorzième saison, mais il dansait objectivement beaucoup moins bien que Rose Ayling-Ellis, qui s’est distinguée par sa grâce et son incroyable expressivité. Elevée par une mère refusant que son handicap ne la prive de ses rêves, cette radieuse jeune femme s’est formée au théâtre grâce à un passage par la compagnie londonienne Deafinitely Theatre (mêlant langage des signes et langage parlé), a enchaîné les expériences sur les planches et au cinéma, et a même été recrutée en 2020 pour jouer le personnage de Frankie Lewis dans la série populaire EastEnders.
Rose Ayling-Ellis a su si bien surmonter son handicap qu’il était impossible de deviner qu’elle n’entendait presque rien à la musique – elle est la première participante sourde à « Strictly Come Dancing ». Son partenaire, le danseur professionnel Giovanni Pernice, s’est initié à la langue des signes et a dû adapter les entraînements pour l’aider à mémoriser la chorégraphie. « Je me repère grâce au rythme et en comptant, a-t-elle expliqué à la BBC. J’ai une prothèse auditive (…). Je peux capter le rythme, percevoir les vibrations et entendre quelqu’un chanter mais je ne distingue pas les paroles. »
Des répétitions très exigeantes pour un résultat bluffant : Rose Ayling-Ellis et Giovanni Pernice obtiennent leur première note maximale de 40 à la sixième semaine du concours avec un tango « Reine des neiges » magistral. En semaine 8, le couple danse pendant 15 secondes, musique coupée, pour mieux faire comprendre l’univers silencieux dans lequel évolue Rose. « C’est la plus belle chose que j’ai jamais vue sur ce show », s’extasie Anton Du Beke, un des juges de « Strictly Come Dancing ». Les hommages affluent, de la première ministre d’Ecosse Nicola Sturgeon à la star de la pop Ed Sheraan. Mais au lieu de masquer son handicap, Rose Ayling-Ellis le revendique et n’oublie jamais de rappeler l’existence des autres sourdes et sourds, le peu de cas dont ils font souvent l’objet, les difficultés qu’ils rencontrent au quotidien en l’absence de traduction systématique en langue des signes.
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