Publié le : 30/12/2021 – 12:09
Dans son huitième roman « Anéantir », Michel Houellebecq prédit ce que sera la campagne présidentielle de 2027, au terme d’un deuxième quinquennat d’Emmanuel Macron, dans une France « en déclin ».
La campagne présidentielle de 2027, au terme d’un deuxième quinquennat d’Emmanuel Macron, dans une France « en déclin », permet à Michel Houellebecq dans son huitième roman, « Anéantir », de se faire l’oracle de notre époque.
Cette longue fiction (736 pages) du romancier français le plus influent au monde, à paraître le 7 janvier, ne devrait pas manquer de susciter exégèses et débats politiques.
Michel Houellebecq avait prouvé, notamment avec « Soumission » en 2015 (sorti le jour de l’attentat à Charlie Hebdo), qu’il adore l’anticipation, en imaginant l’élection d’un président de la République musulman.
«Au XXe siècle, la littérature a été traversée par une fascination pour la transgression, le Mal. D’où la complaisance à l’égard d’auteurs collabos comme Morand, Drieu, Chardonne, que je trouve médiocres.» Houellebecq interviewé par @JeanBirnbaum, 1/2 https://t.co/8yskWxRbpd
— Ariane Chemin (@ArianeChemin) December 30, 2021
Un pays « en déclin »
Jamais nommé dans « Anéantir », Emmanuel Macron est bien reconnaissable quand une conseillère en communication le qualifie de « magnifique animal politique », toujours sémillant « depuis le début de sa fulgurante ascension ».
Il a dirigé un pays « en déclin », miné par les inégalités, la mort lente des petites villes et des campagnes, et un chômage persistant. « Le décalage entre les classes dirigeantes et la population avait atteint un niveau inouï », s’alarme le narrateur.
En 2027, la gauche n’existe que difficilement, le Rassemblement national est toujours fort au premier tour mais en peine au second, et la personne d’Éric Zemmour n’attire que haine ou admiration. Autant d’éléments qui rappellent 2022.
« Anéantir » s’intéresse à un tandem au cœur de cette campagne : le ministre de l’Économie, Bruno Juge, et son conseiller spécial, Paul Raison.
Violence politique
Cet homme de 49 ans, serviteur de l’État et de la majorité présidentielle, d’humeur égale bien qu’enfoncé dans une crise conjugale sans fin, désabusé par son propre fatalisme et son goût conscient du confort bourgeois, sera le protagoniste du roman.
Le personnage de Bruno Juge, « probablement le plus grand ministre de l’Économie depuis Colbert », rappelle quant à lui un certain Bruno occupant les mêmes fonctions, Bruno Le Maire.
Le « vrai » ministre est un ami personnel de l’écrivain, se disant « très lié » avec lui. Fin octobre, il avait révélé devant un parterre d’industriels que le roman à venir défendrait l’industrie.
C’est en effet l’un des thèmes d’ »Anéantir », à son début surtout où est louée l’action de Bruno Juge, par exemple « son succès le plus impressionnant » : redresser la marque automobile Citroën, nationalisée de fait et réorientée vers le haut de gamme.
Autres oracles : à la télévision, Cyril Hanouna a disparu, victime d’une sombre affaire judiciaire, et Michel Drucker a enfin pris sa retraite. Jean-Marie Le Pen est toujours en vie, à près de 99 ans, et sa fille Marine laisse la place à plus jeune qu’elle pour cette présidentielle 2027. Le réchauffement climatique rend les étés très longs. Le terrorisme islamiste est moins menaçant sur le territoire français et d’autres mouvements l’ont supplanté dans la violence politique.
« Très peu de méchants dans ‘Anéantir’ »
Mais « Anéantir », qui sortira en pleine résurgence de l’épidémie de Covid-19, est surtout un grand roman sur les questions de santé, de médecine et de fin de vie. Le Covid-19 a-t-il été vaincu en 2027, ou n’est-ce plus qu’un virus dont on ne parle jamais, comme la grippe ? Le mot n’apparaît pas une seule fois.
Le narrateur, positionné en surplomb, est travaillé par la question de la mort dans nos sociétés occidentales : comment nous la repoussons, comment nous vivons celle de nos proches, comment nous appréhendons ce qui viendra après elle. Michel Houellebecq y plaide une fois de plus contre l’euthanasie.
Ces sujets finissent par rattraper un Paul Raison qui s’était contenté de vivre sans foi, sans interrogation spirituelle, et qui ressent le vide laissé par l’effondrement du christianisme. Ils offrent au roman une fin sublime, lyrique, où s’efface l’intrigue politique.
Bien qu’il ait promis de ne donner aucune interview, l’écrivain est sorti de son silence, accordant un entretien au Monde jeudi, loin de l’image du provocateur nihiliste, et affirmant même « que c’est avec les bons sentiments qu’on fait de la bonne littérature ».
« Il n’y a pas besoin de célébrer le Mal pour être un bon écrivain ! Dans mes livres, comme dans les contes d’Andersen, on comprend tout de suite qui sont les méchants et qui sont les gentils. Et s’il y a très peu de méchants dans ‘Anéantir’, j’en suis très content. La réussite suprême, ce serait qu’il n’y ait plus de méchants du tout ! », affirme la star des lettres françaises. « Anéantir » est imprimé à 300 000 exemplaires.
Avec AFP
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