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Au Nigeria, la fermeture des camps de déplacés jette des milliers de personnes sur les routes

Dans le camp abandonné de Bakassi, près de Maiduguri, dans le nord-est du Nigeria. LIZA FABBIAN POUR « LE MONDE »

Un silence de plomb est tombé sur le camp de déplacés de Bakassi. Il ne reste presque rien de ce gros village de fortune qui abritait il y a encore quelques semaines plus de 41 800 déplacés, à la sortie de la grande ville de Maiduguri, dans le nord-est du Nigeria. Les tentes et les abris de tôle ont disparu, la clinique a fermé ses portes et les enclos de terre se sont vidés de leurs bêtes.

Pendant sept ans, des dizaines de communautés fuyant les exactions des djihadistes de Boko Haram se sont réfugiées sur ce terrain, initialement occupé par des logements de fonction aujourd’hui à l’abandon. Mais le 19 novembre, les déplacés de Bakassi ont été réveillés au beau milieu de la nuit par une délégation officielle, venue leur annoncer qu’ils avaient onze jours pour plier bagage et reprendre le chemin de leurs champs.

Dans les heures qui ont suivi, le gouverneur de l’Etat de Borno a supervisé en personne l’attribution d’une aide alimentaire et financière à chaque chef de famille présent : 100 000 nairas (215 euros) ont été versés pour les hommes, et 50 000 nairas (107 euros) pour les femmes, ainsi qu’un sac de riz de 25 kg, un carton de nouilles et cinq litres d’huile de friture. Une aide censée leur permettre de tenir trois mois, le temps de reprendre la culture de leur terre ou de trouver un autre lieu de vie, à Maiduguri ou à proximité de leur terre d’origine.

Le plan de développement établi par les autorités indique qu’au moins 50 % des déplacés de l’Etat de Borno devront avoir quitté les camps d’ici l’année prochaine et que tous les camps de l’Etat devront avoir fermé leurs portes d’ici à 2026. Pour l’heure, le gouverneur Babagana Zulum a ordonné la fermeture des camps officiels situés autour de la ville de Maiduguri, afin de pousser les populations vers l’autonomie alimentaire. Quatre camps représentants environ 86 000 personnes ont déjà fermé. Cinq autres accueillant plus de 140 000 personnes doivent suivre.

Abus subis par les réfugiés

Le gouvernement local, qui assure qu’il « ne déplace personne de force », a justifié sa décision en pointant notamment les abus que les réfugiés subissent dans ces espaces surpeuplés où ils sont victimes de violences sexuelles et à la merci des détournements de l’aide alimentaire d’urgence. Mais les moyens déployés pour vider les camps ne sont pas à la hauteur des besoins.

« Pendant la distribution de l’aide au départ, les autorités ont demandé à tous les hommes célibataires de s’éloigner. Beaucoup de gens de mon âge n’ont rien reçu du tout », assure Dahirou Moussa Mohammed. Ce paysan de 25 ans a passé un peu plus d’un an dans le camp après avoir fui les territoires occupés par Boko Haram, où il dit avoir été emmené de force suite à l’invasion de son village par les djihadistes en 2014.

Binetou Moussa et sa famille ont déplacé leur tente sur un terrain prêté par un riverain, à quelques mètres seulement du mur d’enceinte du camp de Bakassi (Nigeria). LIZA FABBIAN POUR « LE MONDE »

Depuis que Bakassi a fermé ses portes, Dahirou s’est installé sur une dalle de béton nu, à quelques mètres seulement du mur d’enceinte désormais surveillé par des gardes armés. « Nous avons récupéré la toile de nos tentes, les structures en bois et les tôles de la toiture et nous les avons déplacées ici », explique le jeune homme.

Dans un communiqué publié le 21 décembre, l’organisation Human Rights Watch regrette le manque « de consultations pour préparer les déplacés à rentrer chez eux ou pour les informer des alternatives possibles » et rappelle qu’on ignore tout du sort de 90 % des personnes ayant quitté Bakassi fin novembre. « Les déplacements multiples risquent d’accroître les besoins dans des zones où la présence humanitaire est déjà limitée. Cela est particulièrement préoccupant, compte tenu des indicateurs d’insécurité alimentaire dans la région », note de son côté la coalition INGO Forum Nigeria.

2,4 millions de personnes menacées par la faim

Selon un rapport des Nations unies datant du mois d’octobre, 2,4 millions de personnes sont menacées par la faim dans le Borno, ravagé par douze années de conflit. L’inquiétude des ONG est encore montée d’un cran avec la publication d’une lettre officielle datée du 6 décembre, interdisant expressément les distributions alimentaires dans les communautés récemment réinstallées. « La création délibérée de besoins par les humanitaires ne sera pas acceptée (…) Laissons les gens renforcer leur résilience », a insisté le gouverneur lors d’une réunion à huis clos avec les ONG, le 21 décembre. Il les accuse de rendre les populations dépendantes de l’aide humanitaires sans leur proposer de solutions de développement à long terme, afin de continuer à profiter de la crise.

Même si le projet de fermeture des camps de Maiduguri a été évoqué à de multiples reprises par les dirigeants du Borno ces dernières années, la mise à exécution de ce plan par le gouverneur Babagana Zulum a surpris tout le monde. « Les gens ont besoin de retrouver leurs terres et on comprend bien ça, sauf que le processus actuel est extrêmement discutable », s’alarme la responsable d’une ONG internationale, qui préfère garder l’anonymat vu le climat de défiance qui règne actuellement dans le Borno. « On ne sait même pas comment ils vont rentrer chez eux, vu la dangerosité du voyage, et nous n’avons aucun moyen de les accompagner », regrette-t-elle.

Le camp de Bakassi (Nigeria) avait été improvisé il y a sept ans, sur un terrain normalement dédié à des logements de fonction. LIZA FABBIAN POUR « LE MONDE »

« Il faut que le gouvernement local reconnaisse que la situation sécuritaire ne permet pas ces retours pour l’instant. Dans le contexte actuel, j’ai bien peur que les déplacés ne soient poussés dans les bras des insurgés », appuie un humanitaire nigérian qui travaille pour une autre organisation internationale.

C’est par crainte des violences que Binetou Moussa a choisi de ne pas prendre le chemin du retour. « Ceux qui ont tenté de rejoindre notre village d’Agapalawa ont vite abandonné. Il n’y a plus rien là-bas et il paraît qu’on entend chaque jour des coups de feu dans la brousse. Je ne veux plus jamais revivre ça ! », justifie la vieille femme qui garde en elle le souvenir terrifiant de sa longue fuite à pieds jusqu’à Maiduguri, il y a sept ans.

Faute d’avoir pu rejoindre leur village, beaucoup de déplacés de Bakassi ont finalement échoué à Pulka ou Gwoza, à plus de cent kilomètres au sud-est de la capitale régionale. « Ils dorment dehors, sur le marché et ils n’ont même plus assez d’argent pour revenir ici ! », gronde Binetou, en tordant ses mains décharnées. Dans ces villes secondaires sécurisées par l’armée, la menace d’une attaque demeure omniprésente au-delà des tranchées creusées à la pelleteuse pour prévenir les infiltrations des djihadistes. Une situation qui limite les perspectives agricoles des rapatriés.

Le groupe Etat islamique en Afrique de l’Ouest (l’Iswap) est effectivement actif dans certaines zones de réinstallation. « L’armée contrôle bien les villes secondaires à travers tout le Borno, mais ils ne tiennent pas pour autant les campagnes », souligne Vincent Foucher. « L’Iswap fait un travail de fond [dans certaines zones rurales] avec des patrouilles pour prélever des taxes, contrôler les gens et même rendre la justice au sein des communautés » développe le chercheur au CNRS.

Et bien que le groupe Etat islamique soit plus pacifique dans ses rapports aux civils que ne l’était Abubakar Shekau – le chef historique de Boko Haram disparu en mai 2021 au cours d’affrontements entre factions djihadistes rivales – les risques encourus par les populations non affiliées sont bien réels. « Si on renvoie des gens dans les villes secondaires, l’Iswap pourrait bien les attaquer », prévient Vincent Foucher. Sans oublier les civils « partis travailler dans les territoires contrôlés par l’Iswap et qui ont été victimes des bombardements de l’armée ».

Dans un rapport publié le 15 décembre, Amnesty International évoque les attaques qui ont ciblé des personnes rapatriées au cours de l’année 2021 à Agiri, New Marte et Shuwari. L’ONG ajoute que « certains ont été forcés [par les militaires] à rester dans les zones de réinstallation, malgré l’escalade de la violence ». D’un point de vue politique, la fermeture des camps serait un moyen de reconquérir des territoires et même de tenter de mettre un point final à un conflit de douze années. Même si cela revient, selon les termes de Vincent Foucher, à « laisser des gens avec peu de mobilité, encerclés par les djihadistes et forcés de cohabiter avec une armée sous pression ».

A quelques mètres seulement du mur d’enceinte du camp de Bakassi (Nigeria). LIZA FABBIAN POUR « LE MONDE »

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