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Au Congo, la radio se décline aussi au féminin

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Elfie-Esther Nkishi Ilunga au micro de la Radio de la femme (RFM), dont elle est la directrice, en décembre 2021. RFM

L’émission vient de commencer. Les animatrices de « Projection genre » lancent le débat du jour : pourquoi les femmes participent-elles peu à la vie politique et au débat public en République démocratique du Congo (RDC) ? « On est encore bien loin de l’égalité », ironise l’une des intervenantes, Gudule Bwalya Ilunga.

Pendant l’interlude musical, cette vedette de la télévision nationale raconte comment son père, pourtant patron de presse, s’est opposé à son choix de carrière. « Quand j’ai commencé, les journalistes femmes n’avaient pas bonne réputation. On les considérait comme des filles légères », précise-t-elle.

Depuis sa cabine, le technicien frappe sur la vitre pour annoncer la reprise du direct. Casques sur les oreilles, l’équipe se concentre à nouveau et le silence s’installe dans le studio. « Vous êtes sur la Radio de la femme (RFM), sur le 95.3 FM. Bienvenue à toutes les auditrices et à tous les auditeurs », lance la présentatrice avant d’interpeller l’une de ses invités, qui est aussi sa responsable, Elfie-Esther Nkishi Ilunga.

A 37 ans, celle-ci est aussi éloquente derrière un micro que dans son bureau de directrice. Son média est présent sur les ondes de l’ouest et du centre de la RDC depuis octobre 2020. Une vingtaine d’employés alimente les antennes de Kananga, chef-lieu de la province du Kassaï-Central, et de Kinshasa, la capitale. La puissance de l’émetteur permet même à cette fréquence d’être entendue de l’autre côté du fleuve Congo jusqu’à Brazzaville, la capitale du pays voisin

Une jeune maman désemparée

En un an, la radio est ainsi devenue la première d’Afrique centrale exclusivement consacrée aux sujets féminins et féministes. Une consécration pour celle qui, enfant, admirait Chantal Kanyimbo, la première femme à occuper le poste de présidente nationale de la presse congolaise. A 11 ans, l’adolescente écrivait déjà des histoires dans son carnet.

Mais lorsqu’elle obtient son baccalauréat en 2001, Elfie-Esther Nkishi se heurte, elle aussi, à son père, Joseph Ilunga Kabouyi, puissant homme d’affaires et ancien ministre, qui lui interdit de faire du journalisme. « Inscris-toi en droit, tu auras aussi l’occasion de parler de cette façon-là », lui assène sa famille.

Mais deux ans après le début de ses études supérieures, elle tombe enceinte alors qu’elle n’est pas mariée. « Tout le monde m’a pointé du doigt. On me disait que j’avais perdu ma vie », se souvient-elle. Avorter n’a jamais été une option. Dans ce pays majoritairement catholique et protestant, l’interruption volontaire de grossesse (IVG) est punie de cinq à quinze ans d’emprisonnement.

Seule avec son nouveau-né et sans ressources financières, la jeune maman déserte les bancs de l’université. « La pression sociale fait qu’on n’a plus le courage d’aller à l’école », explique-t-elle. Le sujet est tellement tabou en RDC que les rares données statistiques divergent. L’étude « Performance, Monitoring and Accountability » (PMA 2020), réalisée par un réseau d’universités et d’instituts de recherche européens, relève que 56,5 % des grossesses n’étaient pas désirées en 2014, contre 5 % dans l’enquête menée la même année par les ministères congolais du plan et de la santé publique.

Libérer la parole des femmes

Aujourd’hui, il n’est plus question « d’avoir honte ». Si Elfie-Esther a réussi, à l’époque, à sortir de l’impasse, c’est grâce à la médiatisation de Génération femme qu’elle crée à 21 ans. L’association, qui existe toujours, a pour objectif d’accompagner les mères célibataires et de les aider à obtenir un diplôme.

Sur tous les réseaux, cette battante prend alors fait et cause pour ces jeunes filles et, en les assistant, sort elle-même de son isolement. Elle reprend sa troisième année de droit, là où elle l’avait laissée. Dix ans plus tard, la juriste n’a pourtant jamais exercé. Au lieu de cela, elle est devenue l’une des porte-parole du mouvement féministe de son pays.

« Comme je parle beaucoup, on dit souvent que je dois maltraiter mon mari”. Dans ce pays, on ne peut pas prendre la parole devant les hommes », raille la fondatrice de la Radio de la femme. Pour autant, les hommes n’ont pas été exclus du projet. Ils sont quatre sur les douze employés au bureau de Kinshasa et occupent des fonctions de direction.

En cet après-midi de novembre, le directeur des programmes, Deward Mwamba, signe les conventions de stage de deux étudiantes sur la terrasse transformée en salle de rédaction improvisée. « On les encourage à se lancer dans le métier », indique-t-il.

Selon l’Union nationale de la presse congolaise (UNPC), les femmes sont de plus en plus nombreuses et représentent désormais 40 % des effectifs de la profession. Le travail reste pourtant précaire pour la majorité d’entre elles, encore plus que pour les journalistes masculins. Même à la RFM, elles n’ont pas de contrat longue durée. Le média fonctionne sans publicité, grâce aux dons et au mécénat.

« Nous avons encore de quoi tenir un an », assure Elfie-Esther, qui se bat pour que ses employées reçoivent un salaire digne et régulier. Car l’indépendance économique fait partie intégrante de son combat : la libération de la parole des femmes.

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