Le 30 décembre s’achève au Mali la phase finale des consultations nationales censées permettre la tenue d’élections et le retour d’un gouvernement civil au pouvoir. Ce processus inclut les Maliens de l’étranger et notamment de France, où se trouve la plus grande communauté malienne d’Europe.
« Un événement précurseur du processus de renaissance de notre pays. » Lancées le 11 décembre par les autorités de transition maliennes, les Assises nationales de la refondation sont sur le point de s’achever, à Bamako. Organisées d’abord à l’échelle des régions puis de la capitale et enfin de la nation, ces consultations doivent accoucher, jeudi 30 décembre, de recommandations sur la gestion de l’État puis, avant fin janvier, de la publication d’un calendrier détaillant l’organisation d’élections.
Présent depuis le 25 décembre dans la capitale malienne pour participer à l’événement, Alassane Keita ne cache pas son enthousiasme. « En France et sur les réseaux, on nous raconte que les consultations sont boudées par la population… Mais ici à Bamako, c’est tout le contraire, l’engouement est extraordinaire ! » Ce Malien résidant en banlieue parisienne est membre du Haut conseil des Maliens de France (HCMF), qui fédère plusieurs centaines d’associations dans l’Hexagone en lien avec le Mali.
Après avoir participé mi-décembre à l’organisation des assises en France, par le biais de l’ambassade du Mali, ce DRH fraîchement retraité a été invité par les autorités de transition maliennes pour faire valoir les doléances de sa communauté. « Les Maliens de 26 pays sont représentés pour cette dernière étape de discussions », souligne-t-il. « Tout le monde est présent ici à Bamako : les représentations diplomatiques, les régions du Mali et même nos hameaux. »
Le délégué de la communauté malienne de France, Alassane Keita, participe aux Assises nationales de la refondation, le 28 décembre, au Centre International de Conférence de Bamako. © Hassane Keita
« Revenir sur tout ce qui dysfonctionne »
Organisées par les autorités de transition maliennes, arrivées au pouvoir après les coups d’État militaires d’août 2020 et mai 2021, ces Assises nationales de la refondation doivent permettre « d’analyser en profondeur la situation globale du pays », selon les mots du président de transition, le colonel Assimi Goïta. Une étape jugée indispensable par les autorités pour préparer l’organisation d’élections et le retour à un gouvernement civil.
« Nous sommes confrontés à des réalités nouvelles aujourd’hui avec une insécurité qui s’aggrave, notamment dans le centre du pays, et des communes rurales de plus en plus isolées », explique Alassane Keita. « Il faut revenir sur tout ce qui dysfonctionne, la politique, l’économie, le social, la défense… Nous, les Maliens, avons une obligation morale de participer à ces discussions au vu de la profonde crise que traverse notre pays. »
Atelier de travail des Assises nationales de la refondation, au Centre international de conférence de Bamako, le 29 décembre 2021. © Hassane Keita
Pourtant, les Assises de la refondation sont loin de faire l’unanimité. S’estimant marginalisés, plusieurs partis politiques et organisations ont refusé d’y participer, pointant du doigt un processus trop lourd et coûteux. « En 2019, nous avons eu un dialogue national inclusif qui a déjà permis de mettre à plat la situation. Quelle est l’utilité de ces nouvelles consultations qui coûtent une fortune [1,4 million de francs CFA, selon le ministre de la Refondation de l’État, NDLR] au Mali ? », s’interroge Bah Dabatako, un jeune Malien de France, membre du Rassemblement pour le Mali (RPM) du président déchu Ibrahim Boubacar Keïta, aujourd’hui dans l’opposition.
« Le gouvernement cherche avant tout à gagner du temps et assurer ses arrières. Plus de 60 partis politiques ont refusé de participer aux assises, c’est énorme. Dans ces conditions, les dirigeants actuels s’inquiètent de ce qu’il pourrait advenir si, lors des prochaines élections, le pouvoir leur échappe. Derrière les beaux discours du Premier ministre, je vois un autocrate », assène-t-il.
Le Mali aux Maliens
Alassane Keita affirme pour sa part ne pas soutenir les coups d’État, qu’il considère être « toujours un échec de la démocratie ». Pour autant, il voit la transition comme une occasion de remettre les intérêts du peuple au centre du débat et d’opérer un tournant vers la bonne gouvernance. « Les partenaires occidentaux ont trop couvert les agissements de dirigeants corrompus, prêts à tout pour rester au pouvoir », déplore-t-il. « Il est temps que cela change ! »
Bien longtemps, Alassane Keita s’est contenté d’observer, à distance, les évolutions politiques de son pays. Mais la crise de 2012 et la déclaration d’indépendance des Touareg au nord provoquent chez lui un déclic. Il rejoint alors un petit parti politique, l’Union pour la démocratie et l’alternance (UDA), qui défend l’unité du Mali et soutient aujourd’hui le gouvernement de transition, dont il partage la vision souverainiste.
« Assurer l’intégrité territoriale du pays doit être une priorité absolue. Bien sûr, la lutte contre le terrorisme est une étape clé pour restaurer l’autorité de l’État mais c’est aussi une question politique. Or une partie du pays, au nord, n’est pas sous contrôle des autorités, ce qui équivaut à une partition du pays », souligne Alassane Keita, faisant référence à l’accord de paix d’Alger, signé en 2015 entre la République du Mali et une alliance de groupes rebelles, la Coordination des mouvements de l’Azawad. Un accord conclu sous l’égide de l’Algérie, avec pour garant la communauté internationale, et dont l’application piétine.
« Il est vrai que le peuple n’a pas été assez consulté en amont de ces négociations », juge Bah Dabatako. « La situation de Kidal notamment, qui reste aux mains de groupes armés, suscite beaucoup d’incompréhension au Mali. Certains accusent la France de s’être immiscée dans les affaires du pays en bloquant l’accès aux soldats maliens par peur que des exactions soient commises. Pour autant, le jeu du gouvernement actuel, qui consiste à critiquer ouvertement la France, ne profite pas au Mali et ne fait que l’isoler un peu plus », déplore le jeune militant politique résidant à Aulnay-sous-Bois, dans le département de Seine-Saint-Denis.
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Transition démocratique incertaine
Les Assises nationales de la refondation se déroulent dans un contexte de fortes tensions entre le gouvernement de transition et les partenaires internationaux du Mali. Car depuis des mois, la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (Cédéao) réclame à Bamako un engagement clair de tenir des élections. Alors que le premier gouvernement de transition de Moctar Ouane avait annoncé en septembre 2020 la date butoir du 27 février 2022 pour l’organisation du scrutin, son successeur, l’actuel Premier ministre Choguel Maïga, a depuis relégué cette date aux oubliettes, la jugeant irréaliste.
« Le président s’est engagé à fournir un calendrier précis aux termes des consultations mais il est clair qu’il agit sous la pression de la Cédéao, qui a déjà imposé plusieurs sanctions contre le Mali et fait peser la menace d’un embargo économique », analyse Bah Dabatako. « Dans ces circonstances, il m’est difficile de croire à la bonne foi des autorités en place. » Fidèle aux consignes de son parti, le jeune homme a fait le choix de boycotter les assises de mi-décembre en France.
Certains de ses amis se sont eux laissé convaincre, comme Balla Koné, 39 ans, originaire de la région de Ségou, qui soutenait un candidat d’opposition lors des dernières élections : « J’étais inquiet au moment de l’arrivée des militaires au pouvoir mais les autorités de transition ont prouvé, notamment à travers l’organisation de ces assises, leur volonté d’écoute du peuple et leur patriotisme. »
« Bien sûr, il est important que les militaires ne s’éternisent pas au pouvoir mais nous sommes à un moment crucial de notre existence. Le Mali ne peut se permettre d’organiser des élections contestées, encore, qui mèneront à un nouveau coup d’État dans un an. L’armée est notre dernier rempart ; si nous ne la soutenons pas aujourd’hui, que nous reste-t-il ? Il revient au Mali de faire son propre diagnostic et d’en tirer ses propres conclusions. Pour moi, la transition est aujourd’hui sur la bonne voie. Il faut que nos partenaires le comprennent et nous accordent le temps nécessaire », estime-t-il.
Si les autorités se sont engagées à fournir un calendrier électoral avant fin janvier 2022, elles ont déjà laissé entendre qu’elles ne pourraient respecter la date butoir du 27 février, mettant en avant les problèmes sécuritaires du pays. La Cédéao a pour sa part prévenu que de nouvelles sanctions entreront prochainement en vigueur si l’échéance de l’élection est repoussée.
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