Fin décembre 2001, les Argentins ne pouvaient plus retirer d’argent de leurs comptes en banque, quatre présidents se succédaient en une semaine et 39 personnes étaient tuées dans des manifestations. Vingt ans après ce défaut de paiement historique, l’Argentine est à nouveau engluée dans l’inflation, la hausse de la pauvreté, et ne sait pas comment rembourser une dette colossale au FMI contractée en 2018.
Il y a vingt ans, l’Argentine était plongée dans le chaos. Pillages de supermarchés, épargnants tentant de défoncer les devantures des banques à coups de marteau, un président qui s’enfuit du palais présidentiel en hélicoptère, des concerts de casseroles aux cris de « qu’ils s’en aillent tous ».
Ces événements faisaient suite à une succession d’annonces du gouvernement qui plongèrent le pays dans une crise économique spectaculaire : le gel des avoirs bancaires des épargnants le 1er décembre (appelé par les Argentins « corralito », l’enclos à bétail), puis la suspension du paiement de la dette extérieure le 23 décembre et, enfin, le 6 janvier 2002, la fin de la loi de convertibilité qui garantissait depuis 1991 une parité fixe entre un dollar et un peso.
Manifestation dans les rues de Buenos Aires en décembre 2001. © Subcoop
Vingt ans plus tard, avec 40 % de pauvreté, une inflation autour de 50 % et un dollar qui vaut officiellement un peu plus de 100 pesos (au marché noir, il s’échange à 200 pesos), l’Argentine est empêtrée dans une nouvelle crise financière.
Mercredi, le gouvernement a annoncé le versement de 1,9 milliard de dollars au Fonds monétaire international (FMI), sa dernière échéance pour l’année 2021, sur un prêt de 44 milliards que le président de centre gauche Alberto Fernandez cherche à renégocier.
Le cycle infernal de la dette en Argentine
Ce prêt, contracté en 2018 par son prédécesseur, Mauricio Macri, a remis le paiement de la dette au cœur du débat public. Lundi, plusieurs dizaines de milliers de manifestants étaient rassemblés à Buenos Aires en hommage au soulèvement populaire de la « grande crise » économique de 2001. Les banderoles « Dehors le FMI » étaient de sortie sur la plaza de Mayo. Mais pour l’historien et journaliste argentin Pablo Stefanoni, ces manifestations semblent relever du folklore local car tout le monde sait qu’il faudra, d’une manière ou d’une autre, rembourser le FMI.
« La crise que nous traversons paraît très familière aux Argentins. Elle nous rappelle celle de 2001, même si à cette époque il y avait peut-être une perspective qu’en rompant avec la convertibilité peso/dollar et le néolibéralisme on pouvait changer de cap… Aujourd’hui, il me semble qu’il y a beaucoup plus de pessimisme parce que nous avons tout essayé, l’option de centre gauche avec les Kirchner, l’option Macri, et rien n’a fonctionné. Pour moi c’est une sensation de désarroi, de consternation qui domine. »
Pendant les émeutes du 20 et 21 décembre 2001 à Buenos Aires © Subcoop
De Kirchner à Macri
En effet, depuis 20 ans, la vie politique argentine semble s’articuler autour du paiement (ou du défaut de paiement) de la dette extérieure. Sous le gouvernement de Nestor Kirchner (2003-2007), le ministre des Finances de l’époque, Roberto Lavagna, parvient à remettre le pays en selle en obtenant du FMI (et d’autres créanciers) une restructuration de la dette. « Nous avons alors connu une période de récupération et de croissance très forte, d’environ 9 % par an, qui a permis de retrouver un équilibre budgétaire et une balance commerciale positive », raconte à France 24 l’économiste.
Pendant les deux mandats de Cristina Kirchner (2007-2015), l’Argentine, portée par un boom du prix des matières premières, connaît des années de prospérité. Une politique économique volontariste permet de réduire considérablement la pauvreté et le chômage. Le sujet de la dette disparaît de la scène politique pendant quelques années. « Mais à partir de 2010, la situation économique est devenue à nouveau critique. Les excédents budgétaires et commerciaux se sont épuisés, l’inflation devient très forte, l’investissement local et étranger diminue », poursuit Roberto Lavagna.
Un prêt du FMI énorme et controversé
En 2015, l’élection de Mauricio Macri met fin aux années Kirchner qui ont, selon l’ancien maire de Buenos Aires, ruiné le pays. Le président de centre droit entend libéraliser l’économie et « ouvrir l’Argentine au monde ». Mais l’économie s’enfonce dans la récession et l’homme d’affaires négocie le prêt le plus important que le FMI ait jamais accordé, pour un montant de 57 milliards de dollars (dont seulement 44 milliards ont été versés, Alberto Fernandez ayant renoncé aux derniers décaissements).
Sur les murs de Buenos Aires, la capitale argentine, en décembre 2001. © Subcoop
« Pourquoi a-t-on prêté à l’Argentine une somme de cette ampleur, à court terme, à un moment où il était évident que l’Argentine ne pourrait pas la payer », interroge Roberto Lavagna. « En dehors des alliés très proches de l’ex-président Macri, tout le monde considérait que cette décision était une immense erreur. Ce n’était pas très difficile de prévoir que l’Argentine serait incapable de rembourser 40 milliards de dollars en deux ans », ajoute-t-il.
Le FMI a rendu publique mercredi une enquête interne sur les conditions d’attribution de ce prêt hors norme et concède des erreurs d’appréciation. Dans un communiqué, le fonds regrette que « le programme 2018 n’ait pas atteint ses objectifs de rétablir la confiance des marchés, de réduire les déséquilibres externes et budgétaires, de réduire l’inflation et de protéger les plus vulnérables parmi la population ».
Une dette envers le peuple ?
En 2019, c’est un ancien ministre de Nestor Kirchner, Alberto Fernandez, qui remporte l’élection présidentielle. Et depuis, son ministre de l’Économie, Martín Guzman, négocie le remboursement de la dette… la boucle est bouclée, l’Argentine semble être revenue à la case départ, celle de 2001. « Les gouvernements populistes de gauche comme les gouvernements conservateurs de droite ont répété les mêmes erreurs. Avec la multiplication des crises, le taux de pauvreté augmente, le niveau de l’éducation se détériore, et cela, l’opinion publique le sait bien », tance Roberto Lavagna, deux fois candidat d’une troisième voie à l’argentine aux élections présidentielles de 2007 et de 2019 et arrivé deux fois… troisième.
Pour la journaliste économique Estefania Pozzo, le débat autour de la dette extérieure se prolonge indéfiniment et contribue à la polarisation politique du pays car « aucune des deux principales coalitions qui dominent la vie publique ne parvient à s’imposer de manière claire et durable en raison des limites de son projet politique. Les partis politiques ne parviennent pas à répondre aux demandes de la société, qui rejette à la fois la libéralisation complète de l’économie et l’interventionnisme sur les taux de change. Ça peut paraître ingénu, mais ce que demande l’opinion ce sont des accords solides, sur le long terme, qui favorisent la stabilité et réduisent les incertitudes ».
L’héritage de 2001
La crise financière de 2001 a laissé en Argentine des traces indélébiles. En premier lieu, elle a recomposé le paysage politique argentin. « Finalement, les deux grandes entités politiques qui s’affrontent aujourd’hui ont émergé de la crise de 2001 : le péronisme avec un visage de centre gauche, incarné par les présidences des époux Kirchner, et le « macrisme » (du nom du président Mauricio Macri), qui est né de l’anti-péronisme et de la disparition du Parti radical (NDLR : l’autre grand parti argentin présent dans la vie politique depuis le début du XXe siècle) ».
Pendant la grande crise de 2001, à un coin de rue de Buenos Aires. © Subcoop
Pablo Stefanoni ajoute qu’après la crise de 2001, « la politique a envahi la rue. Des mouvements populaires animés par différentes idéologies se sont exprimés dans la rue avec intensité, que ce soit en 2008 avec les manifestations des propriétaires terriens ou les actions des mouvements de chômeurs. Auparavant, la rue était le territoire des péronistes, après 2001 elle est aussi devenu celui des anti-péronistes opposés à Cristina Kirchner ».
Enfin l’historien note que l’image d’un président fuyant en hélicoptère la foule des émeutiers qui s’était massés autour du palais présidentiel « reste gravée dans l’imaginaire politique et social ». Le 21 décembre 2001, le journal argentin Pagina12 qualifiait sobrement de « 1789 » la démission et la fuite du président De la Rua. En Argentine, la question de la dette extérieure peut faire tomber des têtes.
L’Argentine parviendra-t-elle un jour à rompre le cycle infernal des crises de surendettement et d’hyperinflation ? Pour Roberto Lavagna, « d’un point de vue strictement économique, au bout du compte, les gouvernements de droite comme les gouvernements de centre gauche ont tous répété la même erreur : la manipulation artificielle des taux de change ». Une vieille habitude qui remonte aux années 1970 et à laquelle le pays doit renoncer s’il veut trouver un accord avec le FMI, et échapper à 19 milliards de dollars de remboursements en 2022.
Mientras tanto, el reloj sigue corriendo. El país hoy pagó al FMI U$ 1900 millones (aprox) y el año que viene no hay un solo mes en el que no deban hacerse pagos de capital o intereses. Son criminales los que hicieron esto. https://t.co/BGpKEFTBmE
— ? Estefanía Pozzo (@estipozzo) December 23, 2021
Les photos d’illustration sont tirées de « Diciembre », un livre du collectif de photographes argentins Subcoop paru en 2016.
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