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La puissance politique du sucre, entre délices et dominations

Par Claire Legros

Publié aujourd’hui à 05h00

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EnquêteL’histoire de cet ingrédient devenu central dans notre alimentation, roi des fêtes et des desserts, raconte la part intime des désirs humains, mais aussi la violence des empires et la naissance d’une mondialisation dont il est un acteur majeur.

C’est l’un des effets collatéraux de l’épidémie de Covid-19. Entre le début du confinement et la fin du mois de mai 2020, les ventes de sucre ont bondi de 30 % en France, avec une prime au sucre en poudre (+ 56 %) et plus encore au sucre à confiture (+ 80 %). La peur de la pénurie a sans nul doute joué un rôle dans cette ruée. Mais une enquête menée par le Centre des sciences du goût et de l’alimentation, à Dijon, montre aussi que la période a favorisé, notamment chez l’enfant, ce que les auteurs de l’étude appellent le « manger émotionnel ». Dans le huis clos de nos vies confinées, nous avons été nombreux à noyer nos angoisses de fin du monde dans la douceur réconfortante de desserts faits maison.

Valeur refuge au cœur des crises, ingrédient incontournable des fêtes ou plaisir solitaire et parfois coupable, le sucre raconte, à sa façon, la part intime de l’histoire des hommes et des femmes, de leurs joies et de leurs détresses, de leurs peurs et de leurs espoirs. Il est aussi, aux côtés des céréales, l’un des produits qui, à travers les siècles, décrit le mieux l’histoire des peuples, la violence des empires et la naissance d’une mondialisation dont il est un acteur central.

Car cet ingrédient capable d’activer dans nos cerveaux les circuits de la récompense n’est pas seulement source de plaisir. Longtemps marqueur de distinction sociale et de richesse, réservé aux élites, avant de devenir omniprésent dans nos placards, le sucre est un objet hautement politique, une affaire de pouvoir. « Il est étrange qu’un produit qui charme l’enfance et adoucit la vieillesse ait été à l’origine de tant de catastrophes politiques », notait, à la fin du XIXe siècle, le premier ministre de la reine Victoria Benjamin Disraeli. L’affirmation reste valable. Cette passion gustative a partie liée avec les pires fléaux de notre histoire, et en premier lieu l’esclavage, qui a conduit des millions d’Africains à la déportation et au travail forcé dans les plantations américaines. Elle est aussi responsable, un siècle et demi plus tard, de catastrophes environnementales et d’épidémies de maladies longues, douloureuses, et largement évitables, dont la principale, l’obésité, se retrouve en première ligne dans la crise due au Covid-19.

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Depuis quarante ans, la recherche en sciences sociales tente d’éclaircir ce paradoxe : comment expliquer que cet ingrédient jugé non essentiel aux besoins alimentaires cristallise autant les passions, au point de modeler les paysages et de peser sur les politiques publiques ? De quelle façon cette denrée, hier précieuse et rare, privilège des puissants, s’est-elle transformée en arme de consommation massive, qui hypothèque des vies et pèse sur les finances des assurances-santé ? Retracer l’histoire politique du sucre aide à mieux comprendre l’ambivalence de nos comportements à son égard et éclaire l’origine des rapports de force dont il fait aujourd’hui l’objet.

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