Editorial. Le Chili a tourné une page de son histoire le 19 décembre. En portant Gabriel Boric à sa présidence, à une large majorité qu’un premier tour serré remporté par le candidat d’extrême droite José Antonio Kast ne laissait pas deviner, les Chiliens ont choisi de tourner le dos à une politique jugée responsable de profondes inégalités, épousée avec seulement quelques nuances par les majorités de droite comme de gauche qui se sont succédé au pouvoir depuis la fin de la dictature d’Augusto Pinochet.
L’élection de l’ancien dirigeant étudiant venu de l’extrême gauche, qui sera à 36 ans, en mars, le plus jeune président de l’histoire du pays, ne marque donc pas seulement un saut de génération. Sa victoire alimente en Amérique du Sud, à gauche, l’espoir d’un regain qui dépasserait en 2022 les frontières du Chili. Des élections cruciales sont prévues en mai en Colombie et plus tard au Brésil. Elles pourraient entraîner le reflux de la droite dure incarnée par Ivan Duque comme celle encore plus extrême de Jair Bolsonaro, quelles que soient les contorsions politiques de ce dernier.
Les élections législatives partielles en Argentine, en novembre, ont cependant mis en évidence les difficultés du président péroniste de centre gauche Alberto Fernandez, dont le parti a été devancé par l’opposition de centre droit. L’Amérique latine compte aussi des bastions d’une autre gauche, autoritaire, dictatoriale, au Nicaragua, à Cuba et au Venezuela, qui reste assez peu compatible avec la première.
L’élection de Gabriel Boric, au terme d’un scrutin marqué par une forte participation à l’aune du Chili, constitue avant tout la répudiation d’un modèle économique néolibéral décomplexé, incarné jusqu’à la caricature par le président sortant Sebastian Piñera, dont le mandat a été entaché par des accusations d’affairisme. Ce « modèle » chilien a fait la part belle au privé dans les secteurs de l’éducation et de la santé, générant une société à deux vitesses qu’un système de retraite par capitalisation a figée un peu plus.
Fracture sociale
Il a produit des résultats incontestables en matière de croissance du produit intérieur brut, mais au prix d’une fracture sociale mise à nu en 2019 par une lame de fond protestataire. Celle-ci a fourni le socle populaire de la victoire du 19 décembre, balayant les mots d’ordre ultraconservateurs, sécuritaires et anti-immigration de José Antonio Kast.
Gabriel Boric, dont la famille a des racines croates, s’est montré capable de rassembler derrière lui les différentes composantes de la gauche chilienne en promettant que son pays serait le « tombeau » de ce néolibéralisme. Il va s’efforcer de revenir sur les inégalités qui affligent le pays par une fiscalité plus équitable, redistributive, et le retour assumé de l’Etat, en un mot par un programme qui s’inspire, volontairement ou non, de ce qui est déjà en vigueur, et de longue date, au sein de l’Union européenne.
Il lui faudra cependant compter avec une solide opposition de droite au Parlement. Elle pourrait le contraindre aux ajustements dont l’exercice du pouvoir est souvent synonyme. Le nouveau président a déjà promis le dialogue, une nécessité autant qu’un signal encourageant pour le Chili. C’est d’autant plus le cas que le début de son mandat va également coïncider avec une révision constitutionnelle majeure qui pourrait permettre à la fois d’enterrer définitivement les années de plomb subies par le pays et de mieux prendre en compte l’ensemble des minorités chiliennes.
L’article Le Chili choisit la gauche pour lutter contre les inégalités est apparu en premier sur zimo news.