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Malgré la bronca des ONG, le festival Soundstorm fait salle comble en Arabie saoudite

Alors que les ONG de défense des droits humains dénoncent la participation de stars du monde culturel à des évènements organisés en Arabie saoudite, en raison des violations des droits de l’Homme dans le royaume, le pays a accueilli tout au long du week-end 200 artistes applaudis par 732 000 spectateurs.  

Les événements sportifs et culturels d’envergure internationale se bousculent en cette fin d’année dans le calendrier officiel de l’Arabie saoudite. Après avoir accueilli, début décembre à Jeddah (ouest), le tout premier Grand Prix de l’histoire du pays, le royaume wahhabite a salué, lundi 20 décembre, le succès de la nouvelle édition de son gigantesque festival de musique MDLBeast Soundstorm, le plus grand du Moyen-Orient, organisé près de Riyad.

Malgré la pandémie de Covid-19, dont le nombre de cas sont en recrudescence, les autorités saoudiennes se sont félicités qu’un nombre record de participants a été atteint avec plus de 732 000 spectateurs accueillis pendant les quatre jours de l’évènement qui a pris fin dimanche.

Plus de 200 artistes, arabes et internationaux, dont David Guetta et DJ Snake, se sont produits devant un public mixte lors de cet évènement, qui a été salué par l’ambassadeur de France, Ludovic Pouille. Ces détails ne sont pas anodins dans un pays rigoriste qui reste la première destination mondiale pour le tourisme religieux pour les personnes de confession musulmane.

Un des signes les plus visibles de l’ouverture du royaume

Il y a encore quelques années, la musique, comme globalement toute forme de divertissement, était interdite par les agents du Comité pour la promotion de la vertu et la prévention du vice, aussi appelée la « muttawa ». En août 2017, un adolescent âgé de 14 ans avait ainsi été arrêté pour « atteinte à l’ordre public » après avoir dansé la macarena dans une rue de Jeddah.

« En misant sur le divertissement, le prince héritier Mohammed ben Salmane, qui a depuis quelques années verrouillé l’espace politique saoudien et a anéanti toute contestation au niveau des conservateurs, offre une bouffée d’oxygène à la jeunesse de son pays, souligne Karim Sader, consultant spécialiste des pays du Golfe, interrogé par France 24. Complètement connectée à la mondialisation et assoiffée d’une certaine forme d’ouverture, cette jeunesse était habituée à vivre cachée et avec une certaine frustration ».

Le succès enregistré par le festival MDLBeast Soundstorm est l’un des signes les plus visibles des bouleversements en cours sur le plan de la culture en Arabie saoudite, initiés par le prince héritier également surnommé MBS. En 2018, ce dernier avait ordonné l’ouverture de cinémas, interdits depuis 35 ans dans le royaume, avant de donner son feu vert, via l’Autorité générale pour les loisirs (General Entertainment Authority, GEA), au lancement du plus grand festival de musique, en 2019.

Autant d’initiatives qui s’inscrivent dans le plan de diversification d’une économie trop dépendante du pétrole, intitulé « Vision 2030 » et voulu par le prince héritier. Ce dernier entend développer, entre autres, les secteurs du tourisme non-religieux et de l’industrie des loisirs, alors inexploités, afin de réduire la dépendance du pays à l’or noir. C’est dans ce sens que le GEA est créé en mai 2016, avec la mission de récupérer, dans un délai de 15 ans, la vingtaine de milliards d’euros que les Saoudiens dépensent chaque année à l’étranger, et spécialement dans les pays du Golfe voisins, pour leurs loisirs. 

Des ONG dénoncent une instrumentalisation de la culture

Toutefois, les ONG des droits humains dénoncent une instrumentalisation de la culture et du divertissement destinée à détourner l’attention des violations, précisément de la répression contre les opposants et les militants.

« Les superstars mondiales de la musique qui se produiront au prochain festival MDLBeast Soundstorm en Arabie saoudite devraient défendre les droits de l’Homme ou ne pas y participer, avait protesté l’ONG Human Rights Watch, à la veille du festival. Ceux qui se produisent à cet évènement, qui est parrainé par le gouvernement saoudien, ainsi que les influenceurs qui en font la promotion, devraient prendre leurs distances par rapport aux tentatives du pays de blanchir son horrible bilan en matière de droits ».

Le pouvoir saoudien est accusé d’avoir assassiné le journaliste Jamal Khashoggi assassiné en 2018 dans le consulat de son pays, à Istanbul. Le 26 février, un rapport des services de renseignement américains a pointé du doigt la responsabilité de Mohammed ben Salmane dans l’assassinat du journaliste, entraînant la mise en quarantaine internationale du prince par l’administration Biden.

« Les services occidentaux ont beau savoir que le prince héritier est loin d’être étranger à l’horrible affaire de l’assassinat de Jamal Khashoggi, compte-tenu de la verticalité du pouvoir qu’il a instauré en Arabie saoudite, et pourtant le voici de retour dans l’actualité grâce à la realpolitik qui finit par primer, comme l’a illustré récemment la visite d’Emmanuel Macron qui lui a offert une fenêtre d’oxygène ».

Début décembre, le président français avait rencontré Mohammed Ben Salmane à Jeddah, dans l’une des premières visites pour un dirigeant occidental depuis l’affaire Khashoggi. 

D’autres ONG voient une certaine naïveté de la part du prince héritier saoudien de croire que l’organisation d’un festival de musique et la généreuse rémunération des artistes et des influenceurs qui en font la promotion puissent polir son image.

« MBS n’est pas naïf, il persiste dans sa stratégie de modernisation à marche forcée du royaume, qu’importe les critiques, car finalement on voit que petit à petit, les boulets qu’il traîne aux pieds semblent de moins en moins lourds, note Karim Sader. Évidemment, il ne brille pas comme il le voudrait et il lui faudra beaucoup pour faire oublier son image de dirigeant impulsif et brutal, mais il est en train de réussir à revenir progressivement sur la scène internationale ».

Des appels au boycott infructueux

Karim Sader rappelle que les critiques des ONG n’ont pas empêché la venue de centaines d’artistes au dernier festival MDLBeast Soundstorm.

« Les appels au boycott des évènements en Arabie saoudite ne portent pas leurs fruits, comme l’a récemment démontré la venue du chanteur Justin Bieber dans le royaume, en marge du premier Grand Prix de Formule 1 d’Arabie saoudite ». L’artiste canadien a, en effet, résisté aux critiques sur les réseaux sociaux et à la tentative de la fiancée de Jamal Khashoggi , Hatice Cengiz, de le dissuader de s’y rendre.

Toujours début décembre, le premier Festival de la Mer rouge a accueilli, sur son tapis rouge, les acteurs français Vincent et Catherine Deneuve, ainsi que le réalisateur Gaspar Noé et l’ancien ministre de la Culture et actuel président de l’Institut du Monde arabe, Jack Lang.

« Finalement, malgré les critiques des défenseurs des droits de l’Homme, le prince poursuit sa politique et tente de faire d’une pierre deux coups, en faisant à la fois un clin d’œil à l’Occident en ouvrant le pays à sa culture, et un autre à la jeunesse de son pays, où 60 % de la population a moins de 30 ans, en s’affichant comme moderne et attentif à ses besoins », conclut Karim Sader. 

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