En janvier 2020, il a participé à la dernière conférence de Davos avant-Covid, avec sa casquette de directeur du pôle innovation de la Banque des règlements internationaux. Connu comme le loup blanc, sollicité de tous côtés, on le sentait très à l’aise avec ce gotha qu’il a beaucoup fréquenté lorsqu’il était membre du directoire de la Banque centrale européenne, et qu’il sillonnait le monde comme ministre des Affaires étrangères de Mario Draghi.
Aujourd’hui, cet expert, qui connaît les capitales financières -Francfort, Bruxelles, Bâle, Luxembourg- comme sa poche, rentre au bercail. L’Elysée vient de le proposer pour prendre la tête de l’Autorité de la concurrence. Si l’Assemblée nationale et le Sénat approuvent –a priori une formalité-, le Grenoblois de 52 ans devrait remplacer Isabelle de Silva.
Parcours atypique
Ainsi, ce serait la première fois qu’un économiste -et non un juriste- prendrait la tête de l’institution chargée de lutter contre les pratiques anticoncurrentielles. Pas de quoi inquiéter cet intellectuel, ingénieur de formation et amateur d’art contemporain, au parcours atypique. On se rappelle que déjà fin 2011, l’annonce par l’Elysée de la nomination au directoire de la BCE du chef économiste de Bercy avait été une surprise. « Benoît n’était pas le favori des bookmakers, soulignait Ramon Fernandez, à l’époque directeur du Trésor. Il était jeune, réputé de gauche. Le président de la République ne le connaissait pas. Tout Bercy s’est mobilisé pour lui. »
A Francfort, « sa machine de feu intellectuelle », comme le dit joliment un de ses amis, a fait immédiatement mouche. En interne, où il est devenu un proche de Draghi, comme en externe, où il n’a eu de cesse d’amadouer la presse allemande, hostile à la BCE. Il n’a jamais hésité à aller au contact de journalistes, inquiets que la « bad bank » (mauvaise banque) puisse ruiner les petits épargnants. « Leur parler m’amuse plutôt, découvrait-il alors. En particulier aux Allemands, qui ne sont pas souvent d’accord, ou aux Anglo-Saxons, qui sont plus durs. » Avec sa casquette de banquier central, il a aussi souvent innové et surpris le petit monde des financiers, prononçant un discours devant la Ligue des droits de l’homme ; participant à une discussion avec le groupe sur la pauvreté au Parlement européen ; acceptant un débat pour le quotidien Süddeutsche Zeitung avec deux altermondialistes: un cofondateur d’Attac et un membre du collectif anti-finance Blockupy.
Ses cours à Sciences-Po étaient pris d’assaut
Charmant, courtois, calme en toute circonstance -s’il est fâché, il se ferme, peut avoir la rancune tenace, mais ne crie jamais- , il est en général très apprécié de ses troupes, comme il l’a été de ses étudiants, lorsqu’il enseignait. Car longtemps, alors qu’il habitait Francfort, le week-end, il continuait d’enseigner à Sciences-Po, à Paris. Son cours était pris d’assaut. Le professeur y alternait théorie aride et anecdotes sur son quotidien de banquier.
Son humour pince-sans-rire arrive, en général, à désamorcer les problèmes. Souvent caustique, parfois potache. Ainsi, lorsqu’il est invité à une conférence à Tokyo : « Il m’arrive de commencer mon discours par une blague un peu polarde en japonais, du type : « Je suis économiste et les économistes sont très attachés à la théorie des avantages comparatifs. C’est pourquoi je vais passer à l’anglais » ». Eh oui ! pendant ses études à Polytechnique, Benoît Coeuré a aussi décroché une licence de japonais. Et, plus tard, il a trouvé le temps de co-traduire de l’anglais Acqua alta du poète Joseph Brodsky… Un de ses copains affirme même qu’il aurait appris l’elfique, la langue imaginée par Tolkien dans Le Seigneur des anneaux… Boulimique de connaissances, issu d’une famille d’intellectuels, une des photos préférées de son album personnel le montre, adolescent, sur la tombe du poète Yeats en Irlande, il a continué de publier dans des revues savantes.
Adolescent, il voulait être archéologue ou architecte. A Bercy, il s’imaginait, un jour, intégrer une banque centrale. Doté d’une forte ambition et de solides réseaux, il a été déçu en 2015, lorsque François Villeroy de Gaulhau a décroché la présidence de la Banque de France qu’il convoitait. A l’Autorité de la concurrence il regagnera Paris et le cœur de sa vie publique. A quelques semaines de la présidentielle, le timing est parfait pour cet économiste, Européen convaincu, doté d’un sens politique hors du commun.
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