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ReportageA l’été 1989, leur mouvement de grève avait précipité la chute du régime soviétique. Les mineurs de Sibérie occidentale ont depuis déchanté. Privatisations, corruption, pollution ont brisé la fierté des « gueules noires ».
Dans le champ lexical pourtant riche de la lutte des classes, l’Union soviétique avait rayé un mot : « grève ». Dans le bassin minier du Kouzbass, en Sibérie, comme ailleurs dans le pays, ce terme était sinon tabou, du moins réservé aux manuels d’histoire ou aux récits sur l’enfer capitaliste. « On organisait des réunions de soutien aux mineurs anglais, on leur envoyait même une partie de notre salaire, se souvient Anatoly Malikhine, à l’époque employé de la mine Essaoulskaïa de Novokouznetsk. Mais le concept de “grève” nous était étranger. La seule chose qu’il aurait pu m’évoquer, c’est un aller simple pour la prison. »
Pourtant, le soir du 11 juillet 1989, quand il apprend que les mineurs de Mejdouretchensk ont débrayé, il se révèle meneur. « On a “emprunté” un camion appartenant à la mine et on a filé là-bas pour comprendre ce qui se passait, raconte le retraité de 64 ans. Au retour, à l’aube, on s’arrêtait dans toutes les mines et on lançait aux gars : “Vous allez rester les bras croisés, ou vous comporter en hommes ?”»
En quelques jours, la grève s’étend comme un feu de forêt. Ceux du Kouzbass sibérien, mais aussi ceux du Donbass ukrainien ou de Vorkouta, dans le Grand Nord, cessent le travail et convergent vers les places de leur ville. Là, on griffonne des revendications sur des bouts de papier, on désigne des représentants. De rares photos montrent ces foules casquées, visages noirs et inquiets : et si la troupe intervenait, comme en 1962 à l’usine de Novotcherkassk, où elle avait ouvert le feu, tuant 24 grévistes ?
Deux ans de grèves à répétition
Mais la perestroïka de Mikhaïl Gorbatchev, au pouvoir depuis 1985, est passée par là. Le pouvoir soviétique a changé. Il ne tente même pas de cacher l’information. Pendant deux ans, les grèves à répétition des mineurs rythment l’actualité soviétique. Les premières revendications en disent long sur la débâcle de cette Union soviétique devenue royaume des pénuries : on veut du saucisson à la cantine, du savon dans les douches, les primes réglementaires pour le service de nuit.
Anatoly Malikhine, 64 ans, ancien mineur. A l’été 1989, il est devenu l’un des leaders de la grande grève suivie par les mineurs de charbon de toute la Russie. MARIA TURCHENKOVA POUR « LE MONDE »
Jusqu’à cet été 1989, Anatoly Malikhine était une « gueule noire » sans histoires. « Biographie classique », dit-il pour parler de sa famille originaire d’Ukraine, déportée en Sibérie. Dès l’âge de 16 ans, sa mère s’esquinte à pousser des wagonnets à 400 mètres de fond, douze heures par jour et sans salaire. Son fils est un pionnier enthousiaste, un jeune komsomol qui se fond dans le moule. A Stalinsk, l’ancien nom de Novokouznetsk, la vie est une succession d’évidences : après l’armée, Anatoly rejoint la mine. Il a 21 ans et, autour de lui, tous font de même.
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L’article Dans le Kouzbass, 30 ans après la chute de l’URSS, les mineurs entre désillusions et déclassement est apparu en premier sur zimo news.