Né en Géorgie en 1956, Boris Akounine – de son vrai nom Grigori Chalvovitch Tchkhartichvili – a emménagé à l’âge de deux ans dans la capitale russe. Historien en civilisation japonaise, diplômé de l’Institut des pays d’Asie et d’Afrique de l’université d’Etat de Moscou, il est l’auteur de nombreux essais et de romans policiers historiques dont Eraste Pétrovitch Fandorine est le héros (publiés en France aux Presses de la Cité). Il vit en exil à Londres depuis 2014.
Où étiez-vous le 25 décembre 1991, date officielle de la dissolution de l’URSS ? Qu’avez-vous ressenti ?
Dans mon journal intime, j’ai écrit : « J’ai fêté Noël avec des amis. J’ai un peu froid. Gorbatchev a démissionné. » Dans cet ordre. Je suppose qu’en décembre 1991, la fin de l’Union soviétique était une vieille nouvelle. Ce jour-là n’a fait que confirmer ce qui était évident depuis des semaines, après l’échec du putsch d’août. Début décembre, trois Républiques centrales – la Russie, l’Ukraine et la Biélorussie – ont signé un accord qui équivalait à la dissolution de l’URSS [le 8 décembre, les dirigeants de ces trois pays, réunis en secret dans la forêt de à Belovej, à l’ouest de la Biélorussie, proclamaient la fin officielle de l’URSS et la création de la Communauté d’Etats indépendants]. Les gens comme moi étaient tout à fait pour.
Je pense que c’est l’écrivain français Astolphe de Custine [1790-1857] qui avait surnommé la Russie « prison des peuples » [dans son livre La Russie, publié en 1839, une formule reprise par Lénine en 1914]. Je ne voulais pas que mon pays soit une prison pour qui que ce soit. Nous étions tous d’humeur à ouvrir les portes à quiconque veut la liberté.
L’URSS a paru s’effondrer comme un château de cartes. Quelle en est la raison ? La défaite soviétique en Afghanistan ? La catastrophe de Tchernobyl ?
J’ai une vision très peu romantique de cette « raison » : l’argent. Ou plutôt le manque d’argent. La chute spectaculaire des prix du pétrole, en 1985, a constitué un fardeau insupportable pour la superpuissance qu’était l’URSS. Course aux armements, soutien coûteux à ses alliés et à ses satellites, guerre en Afghanistan : Moscou ne pouvait plus se permettre tout cela. La guerre froide était perdue. Ce qui explique le changement de la politique internationale du Kremlin, ainsi que de sa politique intérieure.
La même chose s’était déjà produite plusieurs fois dans l’histoire de la Russie. Après un énorme fiasco gouvernemental, l’empire tentait de lancer des réformes libérales parce que, selon un mème russe, « tak zhit nelzya » (так жит нельзья) : « Il est impossible de continuer à vivre ainsi ». Sa défaite lors de la guerre de Crimée [qui opposa l’Empire russe à une coalition formée de la France, du Royaume-Uni, de l’Empire ottoman et du royaume de Sardaigne, de 1853 à 1856] a conduit Alexandre II à entreprendre des réformes ; la défaite contre le Japon [1904-1905] a mené à la monarchie parlementaire, en 1905, sous Nicolas II. Ces volte-face ne sont jamais bonnes pour un empire. Elles ont tué Alexandre II [1881] et Nicolas II [1918], elles ont désorganisé l’URSS. La Russie a toujours été un Etat construit avec des vis en acier. Quand on les desserre, toute la structure se met à vaciller.
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