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« Moi, Sergueï, seul “agent de l’étranger” de Sibérie occidentale »

Sergueï Piskounov, dans l’appartement qu’il partage avec sa grand-mère (à droite), dans le village de Gramoteino (Russie), le 29 novembre 2021. MARIA TURCHENKOVA POUR « LE MONDE »

LETTRE DE SIBÉRIE

« CETTE COMMUNICATION (CE CONTENU) EST PRODUIT ET (OU) DIFFUSÉ PAR UN MÉDIA ÉTRANGER REMPLISSANT LES FONCTIONS D’AGENT DE L’ÉTRANGER, ET (OU) UNE PERSONNE MORALE REMPLISSANT LES FONCTIONS D’AGENT DE L’ÉTRANGER. »

Voilà en 207 caractères (220 dans sa version russe) l’avertissement, en lettres majuscules, qui doit accompagner toutes les communications publiques de Sergueï Piskounov, 38 ans, l’un des 68 « agents de l’étranger à titre privé » que compte la Russie. Alors le jeune homme sourit : « Heureusement que j’étais habitué à publier mon travail sur Facebook. Ceux qui sont sur Twitter n’ont plus beaucoup de place pour raconter grand-chose… »

Prudence, toutefois : pour être sûrs d’obéir à une loi écrite de manière dangereusement floue, certains agents de l’étranger vont jusqu’à faire porter la mention sur leurs cartes de visite. Pour les personnes physiques, chaque oubli entraîne une amende de 10 000 roubles (120 euros) ; à la troisième infraction, des poursuites pénales sont lancées. L’organisation de défense des droits de l’homme Memorial risque, elle, la dissolution pour des violations telles qu’un oubli dans un courrier envoyé à l’administration ou l’absence de tampon dans des livres anciens vendus à une foire.

La première loi sur les agents de l’étranger date de 2012, adoptée pour protéger le pays des influences étrangères néfastes – comprendre « occidentales ». Au fil des amendements, elle s’est transformée en outil de lutte politique et d’étouffement de la société civile et des médias, ciblés en priorité. Les premières personnes physiques ont été désignées toute fin 2020, le premier sur la liste étant l’ancien dissident et défenseur des droits de l’homme Lev Ponomarev.

« Ne parlez pas à cet homme »

Sergueï Piskounov, lui, est le premier, et à ce jour le seul, agent de l’étranger de la région minière de Kemerovo, en Sibérie occidentale. Ingénieur dans une usine produisant du matériel pour l’extraction d’or, ce jeune homme issu d’une famille de mineurs est surtout le coordinateur régional de l’organisation de supervision électorale Golos (« la voix », en russe).

C’est à ce titre qu’il a été désigné agent de l’étranger le 19 septembre. Est-ce parce qu’il reçoit, en plus de son salaire de 30 000 roubles des subsides de l’étranger, comme l’intitulé de la loi semble le suggérer ? Oui et non, et l’affaire mérite d’être racontée en détail : un mois plus tôt, le 20 août, Piskounov a reçu sur son compte un virement de 950 roubles. Impossible de refuser l’opération, mais le nom de son mystérieux donateur est indiqué.

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