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RécitDans des villes du Kurdistan irakien, trois familles de victimes du naufrage du 24 novembre évoquent le parcours de leurs proches et les raisons qui les ont poussés à partir pour rejoindre le Royaume-Uni.
Ronde et silencieuse, Zardiah Muhammadamin est habillée tout en noir. Seules les racines de ses cheveux, teints en noir, sont blanches. Quelques millimètres de blancheur correspondant au temps du deuil d’une femme qui ne s’est pas teint les cheveux depuis presque trois semaines. Sa fille, Maryam Muhammadamin, surnommée Baran, a été noyée dans la Manche, le 24 novembre, avec 26 autres passagers, en grande majorité des Kurdes d’Irak. Seuls deux hommes, un Kurde et un Somalien, ont été secourus. Le Monde, s’appuyant sur les témoignages de proches des victimes et les relevés des appels téléphoniques, a montré, le 9 décembre, que ces migrants avaient joint les secours britanniques et français. Sans succès.
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« Noyée, ma fille est devenue la mariée de la mer avant qu’elle puisse participer à son propre mariage », dit le père de Baran, Nouri Muhammadamin, assis dans le salon de leur grande maison familiale dans la ville de Soran, à deux heures de la capitale du Kurdistan irakien, Erbil. Baran, âgée de 24 ans, était partie pour l’Angleterre dans le but de rejoindre son mari, Karzan, lui aussi un Kurde irakien. Vivant depuis une dizaine d’années en Angleterre, l’homme de 41 ans a été naturalisé. Il travaille comme coiffeur.
Sur son téléphone portable, assise à côté de ses parents, la sœur de Baran, Heline, vêtue de noir, fait défiler les photos des fiançailles de Baran et Karzan. La mariée, aux longs cheveux détachés et portant une couronne, sourit. Selon ses proches, les tentatives de Baran d’obtenir un visa britannique pour rejoindre son mari avaient toutes échoué. « Ma fille voulait rejoindre son mari. Elle ne cherchait pas de travail ou une meilleure vie », explique Nouri Muhammadamin. Pour lutter contre ses larmes, cet ancien peshmerga (combattant kurde), aux yeux bleus perçants, répète des phrases de courtoisie. « Soyez la bienvenue ! », ne cesse-t-il de dire.
Dans la chambre de Baran Nuri Muhamadamin, portée disparue lors du naufrage du 24 novembre. A Soran (Kurdistan), le 12 décembre 2021. LAURENCE GEAI POUR « LE MONDE » Nuri Muhamadamin, le père de Maryam « Baran », « la mariée de la mer », portée disparue lors du naufrage du 24 novembre 2021. A Soran (Kurdistan), le 12 décembre 2021. LAURENCE GEAI POUR « LE MONDE »
Baran a alors opté pour un visa Schengen, qu’elle a obtenu de l’ambassade italienne en Irak. Le jour de son départ du Kurdistan, le 2 novembre, toute la famille et sa belle-mère, même certains de ses cousins, se sont rendus à l’aéroport d’Erbil. Une fois arrivée en Italie, la jeune femme a pris un train pour l’Allemagne, où elle a rejoint la femme d’un cousin de son mari, Muhabad Ahmad Ali. Cette Kurde d’une trentaine d’années convainc alors Baran de prendre illégalement le chemin de la Manche. Les deux jeunes femmes ont continué le chemin jusqu’à Calais. Là-bas, le mari de Muhabad, qui vit, lui aussi au Royaume-Uni, les a rejointes. Les deux femmes, aidées par le mari de Muhabad, finissent par prendre un bateau. Baran n’en dit rien à ses parents.
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