L’industrie florissante des granulés de bois en Estonie oppose les écologistes qui mettent en garde contre l’augmentation de l’exploitation forestière et ses effets néfastes sur la biodiversité, à ceux qui affirment que ce secteur fait un bon usage du bois qui, autrement, serait gaspillé.
Le sujet est particulièrement sensible dans cet État balte autrefois gouverné par Moscou, dont les forêts couvrent plus de la moitié de la superficie et font partie intégrante de l’identité nationale.
Pour Mihkel Jugaste, représentant du plus grand producteur de granulés de bois en Europe, la société estonienne Graanul Invest, il s’agit simplement de valoriser les restes de bois non utilisés par les scieries.
« Le bois ne nous parvient que lorsque les scieries ou les usines de contreplaqué l’ont rejeté », déclare à l’AFP ce responsable de qualité et de certification, par-dessus le bruit étourdissant des machines qui transforment les bûches en sciure et les compactent en pellets.
Les granulés de bois, considérés comme un biocarburant, sont brûlés dans des poêles spéciaux ou des chaudières de chauffage central de maison.
Ils peuvent être utilisés aussi à plus grande échelle. L’ancienne centrale électrique au charbon de Drax, en Grande-Bretagne, fonctionne désormais en partie avec des granulés de bois, dont certains proviennent d’Estonie.
– L’intensité de l’exploitation forestière « trop élevée » –
Selon les écologistes, la demande de biomasse en Europe occidentale entraîne une intensification de l’exploitation forestière dans des pays comme l’Estonie, y compris dans des zones protégées et à l’aide de techniques telles que la coupe à blanc, qui consiste à raser des zones entières de forêt.
Bûches et copeaux de bois dans une usine appartenant à Graanul Invest, le plus grand producteur de granulés de bois d’Europe, à Imavere, dans le comté de Jarva, dans le centre de l’Estonie, le 27 octobre 2021 (AFP – Ivo PANASYUK)
Selon eux, des espèces d’oiseaux comme le tétras-lyre et l’alouette des bois sont menacées par cette exploitation forestière. Ils soulignent aussi que le nombre d’oiseaux des bois a diminué d’environ un quart au cours des deux dernières décennies.
Leurs avertissements ont été entendus à Bruxelles et la Commission européenne a engagé au début de l’année une procédure d’infraction à l’encontre de l’Estonie. Selon les autorités européennes, le pays balte a manqué d’évaluer des incidences sur l’environnement avant de délivrer des permis d’exploitation dans ces zones.
« L’intensité de la gestion forestière estonienne est trop élevée et la production de pellets au sein de l’industrie forestière joue un rôle important », a déclaré Siim Kuresoo, coordinateur du programme forestier au Fonds estonien pour la nature.
« L’idée initiale d’autoriser la combustion du bois comme énergie renouvelable ne visait qu’à réduire les déchets de l’industrie. Maintenant, c’est devenu une grande industrie en soi », a-t-il indiqué.
Les exportations de bois et de produits du bois représentent environ 10% de l’ensemble des exportations de l’Estonie et leur valeur a augmenté de 48% pour atteindre 165 millions d’euros entre août 2020 et août 2021, selon les chiffres officiels.
Les revenus de Graanul ont augmenté à 438,9 millions d’euros en 2020, contre 401,7 millions d’euros en 2019.
M. Jugaste assure que son entreprise respecte et continuera de respecter toute réglementation en matière de protection de l’environnement, mais souligne que les parties prenantes sont parfois en désaccord sur ce que devraient être les règles.
« Nous, en tant que transformateur de bois, ne pouvons pas vraiment décider à leur place », a-t-il souligné.
Des machines d’exploitation forestière dans une forêt près de Kernu, dans le comté de Harju, dans le nord de l’Estonie, le 27 octobre 2021 (AFP – Ivo PANASYUK)
« Si les experts prennent une décision sur le statut de protection ou le territoire à protéger et que nous recevons ce document, nous pouvons protéger à 100% », a-t-il assuré.
Selon un article paru dans Nature Research en 2020, la superficie forestière exploitée en Estonie a augmenté de 85% entre 2016 et 2018 par rapport à la période 2004-2015, soit l’une des plus fortes augmentations dans l’Union européenne.
Mais dans le même temps, grâce au reboisement naturel et à la plantation d’arbres, la superficie forestière en Estonie a globalement augmenté pour atteindre 2.325 millions d’hectares en 2020, contre 2.239 millions d’hectares en 2001.
Le problème de l’Estonie s’inscrit dans un débat européen plus large sur la question de savoir si les granulés de bois peuvent être considérés ou non comme une source d’énergie neutre en carbone, du moment où des arbres sont replantés.
Des granulés de bois dans une usine appartenant à Graanul Invest, le plus grand producteur de granulés de bois d’Europe, à Imavere, dans le comté de Jarva, dans le centre de l’Estonie, le 27 octobre 2021. (AFP – Ivo PANASYUK)
Nombre d’experts affirment que ce n’est pas le cas car la combustion du bois est aussi polluante que celle du charbon et que les arbres mettent de nombreuses années à repousser.
Selon Taavi Ehrpais, propriétaire forestier, seuls 10% de son bois – uniquement la qualité la plus basse – finit dans l’usine de granulés et l’idée que l’industrie des granulés de bois conduit à une intensification de l’exploitation forestière n’est qu’un « mythe incroyable », la législation étant « très strictes » et garantissant la biodiversité.
]
L’article L’industrie des granulés de bois en Estonie sur le banc des accusés est apparu en premier sur zimo news.