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La Bosnie-Herzégovine sous la menace d’une sécession serbe

Publié le : 14/12/2021 – 17:00

La Bosnie-Herzégovine est-elle au bord de l’implosion ? Trente ans après la guerre, l’inquiétude grandit dans ce pays divisé, où le Parlement de la Republika Srpska (RS), l’entité serbe de Bosnie, a entamé un processus de retrait des Serbes de plusieurs institutions fédérales, en particulier de l’armée.

Que se passera-t-il lorsque les lois de la Bosnie-Herzégovine ne s’appliqueront plus en Republika Srpska (RS) ? « Cela revient à une sécession de fait », estime Loïc Trégourès, enseignant à l’Institut catholique de Paris et spécialiste des Balkans, interrogé par France 24.

Cet État des Balkans est scindé, depuis une guerre interethnique (1992-1995) ayant coûté la vie à 100 000 personnes, en deux entités : la Fédération croato-bosniaque et la Republika Srpska. Dotées d’une grande autonomie, toutes deux sont reliées par un faible État central, incarné par la présidence collégiale tripartite.

Le Parlement des Serbes de Bosnie a posé, vendredi 10 décembre, les premiers jalons de ce qui s’apparente à un processus de séparation de l’entité serbe du pays, mettant ainsi à exécution les menaces du leader séparatiste Milorad Dodik, l’élu serbe à la présidence tripartite de la Bosnie-Herzégovine.

Adoptée à 49 voix sur 83, la motion du Parlement des Serbes de Bosnie donne désormais un délai de six mois pour organiser le départ des Serbes de trois institutions cruciales de cet État central déjà peu pourvu : l’armée, la justice et les impôts. Un nouveau vote de l’Assemblée de la RS devra toutefois valider ce processus.

Le risque du « point de non-retour »

Vendredi, la motion soutenue par les députés du parti de Milorad Dodik « est passée de justesse », note Loïc Trégourès. « Les autres partis d’opposition, même s’ils sont philosophiquement pour faire la sécession, ont refusé de voter, considérant que c’est une aventure extrêmement dangereuse qui va mener à la guerre ». L’opposition reproche surtout à Milorad Dodik des manœuvres politiciennes pour obtenir des voix aux élections générales de 2022. Cette opposition, rappelle le chercheur, c’est notamment le parti de Radovan Karadzic, condamné à la perpétuité par le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie pour génocide, crimes contre l’humanité et crimes de guerre.

Adepte des discours de haine et de la glorification des criminels de la guerre, Milorad Dodik brandit la menace de la sécession depuis des années. « Le gouvernement fédéral peut difficilement arrêter ça. C’est contraire à la Constitution mais ce n’est pas ça qui freinera Milorad Dodik », relève Loïc Trégourès. « Dans le meilleur des cas, Milorad Dodik obtiendra sa réélection et il se calmera… à condition que le point de non-retour n’ait pas été atteint », redoute le chercheur.

Les fantômes de la guerre fratricide

L’annonce, mi-novembre, par le leader de la communauté serbe, de la reconstitution, d’ici à « quelques mois », de son armée démantelée en 1995 a déjà réveillé les fantômes du passé. « Restaurer une armée des Serbes de Bosnie, c’est symbolique, cela renvoie à des figures comme celle de Ratko Mladic [ancien chef militaire serbe de Bosnie, reconnu coupable de génocide pour son rôle dans le massacre de Srebrenica] », rappelle Loïc Trégourès. « Il n’y a pas d’enthousiasme de la part des Serbes de Bosnie », poursuit-il. « Ils ont vécu la guerre et ils ne veulent pas revivre ça. Partout en Bosnie-Herzégovine, les gens sont traumatisés par ce qui s’est passé. Et là, ils voient ressurgir les signes de ce qu’ils ont vu il y a 30 ans, avec des questions inquiétantes comme : que va-t-il arriver aux minorités qui vivent en Republika Srpska ? »

Si Milorad Dodik met ses menaces à exécution, les lois de la Bosnie-Herzégovine ne s’appliqueront plus en Republika Srpska. Or il n’y a pas que des Serbes qui vivent dans l’entité serbe. Les Bosniaques (musulmans de Bosnie), qui représentent plus de la moitié des 3,5 millions d’habitants du pays, sont aussi présents dans la petite République serbe et son 1,2 million d’habitants. « Le risque de voir de nouveau des mouvements de déplacés est grand », souligne Loïc Trégourès.

Quant au spectre de la guerre, l’Allemand Christian Schmidt, chargé au nom de l’ONU de veiller au respect de l’accord de paix de Dayton (1995), a affirmé dans un récent rapport que le pays se trouvait confronté « à la plus grande menace existentielle de l’après-guerre », avec une possibilité « très réelle » de conflit.

L’Union européenne divisée

L’inquiétude grandit aussi côté européen. Le nouveau gouvernement allemand a demandé lundi à l’Union européenne d’infliger des sanctions à Milorad Dodik. « Les efforts visant à une rupture sont inacceptables et cela signifie aussi – et j’ai plaidé en ce sens ici – que le régime de sanctions existant soit aussi utilisé contre M. Dodik », a ainsi déclaré la ministre allemande des Affaires étrangères, Annalena Baerbock. La situation dans les Balkans occidentaux est notamment à l’ordre du jour d’un sommet, mercredi, entre les dirigeants de l’UE et ceux de plusieurs pays d’Europe de l’Est.

Seul hic, face à Milorad Dodik, l’Union européenne ne parle pas d’une seule voix. Les dirigeants hongrois et slovènes soutiennent ouvertement le leader séparatiste, et la Croatie a des intérêts communs avec l’élu serbe. En effet, si la Bosnie-Herzegovine s’effondre, un rattachement des Croates de Bosnie à la Croatie ne peut être exclu. « Milorad Dodik profite pleinement de cette situation géopolitique », analyse Loïc Trégourès. « Les Russes le soutiennent, les Américains ne savent pas comment le prendre et l’Union européenne est divisée. Il dispose d’une fenêtre de tir pour avancer. »

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