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A Milan, dans la plus grande zone à trafic limité d’Europe

Toutes les routes mènent à Rome. Y compris lorsqu’elles sont à trafic limité. En 45 avant J.-C., las du chaos engendré par les embouteillages dans les ruelles de la Ville éternelle, Jules César décrète l’interdiction des chars. Après le lever du soleil et jusqu’aux abords du crépuscule, chariots et chevaux ne sont plus tolérés à l’intérieur de l’urbs. La loi de l’Imperator anticipe les récentes mesures prises contre la congestion et la pollution des villes, et notamment les zones à trafic limité (ZTL). Celles-ci ont séduit plusieurs villes d’Allemagne, de Suisse, de Belgique, et s’invite désormais en France : après Nantes, Paris envisage d’exclure la circulation automobile classique dans son centre, à partir du second semestre 2022, .

Des cycliste sur la place de la cathédrale de Milan (Italie), en mai 2020. LUCA BRUNO / AP

Pour comprendre le fonctionnement, les avantages et les limites de cette restriction de circulation, l’Italie demeure un territoire privilégié. La plupart des villes de la péninsule disposent d’un espace de ce type, et Milan détient le record de la plus grande ZTL d’Europe : 72 % du territoire de la capitale lombarde, à savoir 128,29 km2 – bien plus que la superficie de la ville de Paris – est situé dans une ZTL.

Contrairement à une zone piétonne, la ZTL couvre un secteur assez vaste, où la circulation n’est autorisée qu’à certains véhicules ou personnes, généralement les transports publics, les taxis, les riverains, les personnes handicapées, les services d’urgence, les livreurs. L’essor de ce système est lié à la richesse patrimoniale italienne. Sites archéologiques noircis par les pots d’échappement, statues rongées par la pollution… les ZTL naissent comme une solution pour protéger les centres historiques.

« Panique dans les rues »

« La toute première apparaît en Toscane, sur la piazza del Campo de Sienne, en 1962. La place, lieu de course du célèbre Palio, a une morphologie incurvée qui supporte mal la circulation des voitures », rappelle Luca Tamini, professeur en urbanisme à l’Ecole polytechnique de Milan. Progressivement, les ZTL se généralisent, en particulier en Lombardie aux niveaux de pollution parmi les plus élevés d’Europe. « L’arrivée de la ZTL à Milan en 2012 s’explique d’abord par la volonté de lutter contre la pollution atmosphérique de la ville », note Arianna Censi, chargée de la mobilité et des transports pour la mairie de Milan. La mesure est loin d’être consensuelle.

« Le jour de l’entrée en vigueur de la ZTL, on avait l’impression qu’on se préparait pour l’Armageddon, c’était la panique dans les rues. Les résidents du centre-ville ont failli en venir aux mains avec Pierfrancesco Maran, alors responsable mobilité de la mairie. Mais tout s’est très bien passé », raconte Federico Parolotto, fondateur du cabinet Mobility in Chain. Même les commerçants, qui craignent une baisse de leur chiffre d’affaires avec le départ des voitures, changent d’avis : « Au sein des ZTL, le taux de vacance des rez-de-chaussée baisse : cela signifie que les commerces résistent mieux dans les zones à trafic limité. Les flux de passants génèrent de l’activité commerciale. Au point qu’aujourd’hui, les grandes marques qui s’installent à Milan demandent à être à l’intérieur de la ZTL », détaille Luca Tamini.

En 2018, alors que la Commission européenne saisit la Cour de justice de l’UE concernant l’Italie pour infractions continue aux limites en matière de pollution de l’air, la ville de Milan décide d’aller plus loin encore. Depuis le 25 février 2019, une nouvelle zone à trafic limité, appelée « Area B », couvre presque l’intégralité de la ville, avec une interdiction de circulation des véhicules les plus polluants. Six mois plus tard, leur transit a diminué de 13 %, avec 12 000 habitacles en moins chaque jour. « Nous avons débloqué 3 millions d’euros pour financer l’achat de moyens de transport hybrides ou électriques », souligne Arianna Censi.

Pousser à acheter du neuf

« La ZTL a amélioré la situation dans le centre-ville, mais en banlieue on continue de se disputer pour une place de parking. L’Italie figure parmi les pays avec le plus grand nombre de voitures par personne. L’espace public reste colonisé par la ferraille, on en est encore à se frayer un chemin entre les véhicules garés quand on se balade. L’acronyme de la ZTL s’adresse aux moteurs et non aux piétons », regrette Paolo Pileri, professeur en urbanisme à l’Ecole polytechnique. « A Milan, une automobile reste garée 90 % du temps en moyenne, occupant inutilement de la place. Nous avons besoin d’un vrai changement culturel », reconnaît Arianna Censi.

« En limitant l’accès aux engins les plus polluants, on pousse les citoyens à acheter du neuf. Si on veut réduire la circulation, on ne peut pas agir exclusivement via des interdictions. Il faut militer pour une mobilité alternative », estime Stefano Boeri. L’architecte et urbaniste, célèbre pour ses « forêts verticales », travaille sur un nouveau concept, « la ville archipel » : « Elargir la ZTL à partir du centre-ville, c’est exclure les habitants des zones périphériques. Il faut imaginer un système plus inclusif, avec un patchwork d’îles piétonnes façon ville du quart d’heure où ne circuleront que les résidents, dans la limite de 10 km/h, et les cyclistes. Ces îles seront réparties sur toute la métropole, et on pourra prendre la voiture, le vélo ou les transports pour aller d’une île à l’autre. »

Cet article a été réalisé dans le cadre de la conférence Le Monde Cities « Qu’est-ce qu’une ville à taille humaine ? » organisée par Le Monde avec le soutien d’Enedis, de Toyota et de l’Institut Veolia

Inscription gratuite : lemde.fr/cities-16decembre

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