Alors que la Chine poursuit sa stratégie d’isolement de Taïwan, l’île a perdu ces dernières années nombre de soutiens diplomatiques au profit de Pékin. À contre-courant, l’Europe a entrepris un rapprochement avec Taipei, en qui elle voit un partenaire en matière de cybersécurité et dont elle partage les valeurs démocratiques.
Un nouveau coup dur diplomatique pour Taïwan. Le Nicaragua a annoncé, jeudi 9 décembre, la rupture de ses relations avec la petite île de la zone indopacifique, considérée par la Chine comme une province rebelle. Alors que Pékin accentue ses efforts pour isoler Taipei, le gouvernement taïwanais a perdu, depuis 2016, sept de ses alliés au profit de la Chine.
Pourtant, alors que ses soutiens officiels s’amenuisent, Taïwan continue d’attirer la sympathie de nombreuses démocraties à travers le monde. C’est le cas de l’Union européenne qui a entrepris, au cours de la dernière année, un rapprochement diplomatique avec l’île, au grand dam de Pékin. Confrontée aux campagnes d’influence agressives de la Chine, l’Europe voit désormais en Taïwan un partenaire stratégique, notamment en matière de cybersécurité.
L’UE face à un « rival systémique »
En 2019, l’Union européenne percevait déjà avec méfiance la montée de la Chine, qu’elle qualifiait de « partenaire de coopération » mais aussi de « concurrent économique » et de « rival systémique ». Depuis, la pandémie de Covid-19 n’a fait qu’accentuer ce sentiment.
En juin 2020, alors que la crise sanitaire prenait de l’ampleur, la Commission européenne a ainsi accusé la Chine de mener des campagnes de désinformation sur le Covid-19 au sein de l’Union européenne, désignant publiquement Pékin, pour la première fois, comme source de désinformation. Peu après, lors d’un sommet virtuel UE-Chine, la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, a de nouveau dénoncé la responsabilité de la Chine dans une série de cyberattaques contre des hôpitaux européens.
Un vaste rapport sur les opérations d’influence chinoises dans le monde, publié en septembre dernier par l’Institut de recherche stratégique de l’École militaire française, s’est également penché sur les opérations de désinformation de la Chine visant la Suède. Selon les chercheurs, Pékin considère le pays nordique comme un cheval de Troie, pour infiltrer et déstabiliser les institutions européennes.
Ces opérations hostiles, ajoutées à la restriction des libertés civiles à Hong Kong, aux violations des droits humains au Xinjiang, ainsi qu’à l’intimidation militaire systématique de Taïwan, ont suscité de vives critiques au sein de l’UE, qui a durci le ton face à Pékin. Une évolution qui a profité à Taïwan, désormais perçu par l’Europe comme un partenaire stratégique en raison de ses valeurs démocratiques, de sa résistance face à la Chine ainsi que de son expertise en matière de cybersécurité.
Lutte contre l’ingérence et partenariat technologique
Le 21 octobre dernier, le Parlement européen a adopté une résolution pour renforcer ses liens avec Taïwan. Qualifiant l’île de « partenaire clé » dans la région indopacifique, elle appelle à un partenariat global et renforcé avec Taipei, comprenant le renforcement du Bureau économique et commercial européen à Taïwan, la signature d’un accord bilatéral d’investissement et l’approfondissement de la coopération dans la lutte contre la désinformation et les cybermenaces.
Bien que non contraignante, cette résolution témoigne d’un effort accru pour se rapprocher de Taïwan tout en respectant le cadre de la « politique d’une seule Chine » de l’Union européenne. Début novembre, le Parlement a envoyé sa toute première délégation officielle à Taipei, composée de sept membres de la Commission spéciale sur l’ingérence étrangère et la désinformation (INGE).
La délégation a rencontré de hauts responsables du gouvernement taïwanais et des organisations de la société civile afin de tirer des enseignements de l’expérience de Taïwan en matière de lutte contre l’ingérence étrangère. Car l’île est en première ligne des campagnes d’influence de la Chine, qui visent à saper ses institutions démocratiques.
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« Nous aimerions exploiter davantage le savoir-faire de Taïwan, en coopérant avec des ONG et des experts de la région, et éventuellement le partager avec d’autres alliés démocratiques dans le monde », explique Marketa Gregorova, députée européenne tchèque, membre de la délégation européenne, contactée par France 24.
L’Union européenne souhaite également développer un partenariat technologique avec Taipei. Bruxelles tente notamment de convaincre le fabricant taïwanais de semi-conducteurs TSMC d’installer une usine en Europe. Car l’île possède un savoir-faire particulier dans cette technologie de pointe, utilisée dans les domaines des smartphones, de l’intelligence artificielle ou bien encore des avions de chasse, et dont la pénurie a durement affecté l’industrie automobile européenne lors de la crise du Covid-19.
« Avec la loi sur les puces européennes, l’Europe va intensifier ses efforts pour augmenter la production, mais nous voulons également coopérer avec des partenaires partageant nos valeurs comme Taïwan », a déclaré Sabine Weyland, directrice générale de la section commerciale de la Commission européenne, lors d’un sommet virtuel sur les investissements UE-Taïwan en octobre.
Un rapprochement durable ?
Sans surprise, le voyage des législateurs européens à Taïwan le mois dernier a provoqué la colère de la Chine, qui a accusé le Parlement européen de « violer gravement l’engagement de l’UE envers la politique d’une seule Chine » et agité la menace de représailles.
Raphaël Glucksmann, l’eurodéputé français qui conduisait la délégation, fait partie des onze Européens qui ont été sanctionnés par Pékin en mars pour leur plaidoyer concernant les abus dans la région du Xinjiang. Au moment de partir pour Taïwan, il écrivait sur Twitter : « Ni les menaces, ni les sanctions ne m’intimideront. Je serai toujours aux côtés de ceux qui luttent pour la démocratie et les droits de l’Homme. »
1/6 Ni les menaces, ni les sanctions ne m’impressionneront. Jamais.
Et je continuerai, toujours, à me tenir aux côtés de ceux qui se battent pour la démocratie et les droits humains. Alors voilà : je pars à Taïwan. pic.twitter.com/TmKK7YiCOD
— Raphael Glucksmann (@rglucks1) November 2, 2021
À la suite de la visite à Taïwan, le Parlement européen a déclaré que ses délégués avaient convenu d’explorer de nouvelles pistes de partenariats, notamment la création à Taipei d’un hub commun pour contrer la désinformation. Mais alors que la Commission européenne dit souhaiter poursuivre « des relations approfondies en matière de commerce et d’investissement » avec Taïwan, aucun accord concret n’a jusqu’ici vu le jour, l’organe exécutif de l’UE restant plus prudent sur la question que le Parlement.
La poursuite de cette coopération dépendra avant tout de la politique étrangère des États membres, alors que le nouveau gouvernement allemand vient tout juste d’entrer en fonction et que la France se prépare à l’élection présidentielle d’avril 2022.
Les Verts allemands, qui dirigent désormais le ministère des Affaires étrangères, ont promis de durcir le ton face à Pékin au nom des valeurs démocratiques, tranchant avec l’ère Merkel qui privilégiait, avant tout, les accords commerciaux avec la Chine. Les trois partenaires de la coalition du nouveau gouvernement ont, par ailleurs, plaidé pour un élargissement des relations avec Taïwan.
« Le travail du Parlement européen a contribué à considérer la coopération avec l’île comme ‘normale’ et a poussé l’UE à s’approprier le langage pro-Taïwan », analyse Zsuzsa Anna Ferenczy, chercheuse postdoctorale basée à Taipei et ancienne conseillère politique au Parlement européen, contactée par France 24.
« Taïwan a réussi à se constituer un soutien international, avec des démocraties plus à l’aise pour soutenir sa cause […]. Et cette évolution résulte des politiques agressives de la Chine. Pékin contribue en fait à ce qu’il y ait plus, et non moins, de Taïwan en Europe. »
Article traduit de l’anglais par David Rich. L’article dans sa version originale peut être lu ici.
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