Durant le mois de novembre, les dirigeants d’entreprises cotées aux États-Unis et les cadres exécutifs ont vendu pour plus de 63 milliards de dollars d’actions. Du jamais vu dans l’histoire récente américaine qui a, en partie, à voir avec la peur d’une hausse des impôts pour les très riches.
Elon Musk, Jeff Bezos ou encore Mark Zuckerberg ont-ils besoin d’argent de poche pour faire leurs emplettes de Noël ? Ils font, en effet, partie d’une poignée de patrons de grands groupes cotés en Bourse à avoir vendu leurs actions à la pelle cette année, et surtout au mois de novembre.
En tout, les PDG et cadres exécutifs des entreprises du S&P500 – l’indice boursier américain des 500 principales sociétés cotées – ont vendu pour 63,5 milliards de dollars d’action en novembre, a constaté le Wall Street Journal, dans un article publié jeudi 9 décembre qui décortique les données de ventes d’actions par ces chefs d’entreprise. Et depuis le début de l’année, les 48 principaux dirigeants de groupes cotés en Bourse ont récolté plus de 9 milliards de dollars.
La “taxophobie” des patrons d’entreprises ?
“Ce qui se passe en ce moment est sans précédent”, reconnaît Daniel Taylor, professeur de comptabilité à l’université de Pennsylvanie et spécialiste de la Bourse, interrogé par le Washington Post. “Les PDG vendent habituellement plus d’actions en fin d’année, mais pas à de tels niveaux”, confirme Alexandre Baradez, responsable des analyses marchés pour le cabinet de conseil financier IG France, contacté par France 24.
Les transactions effectuées en novembre par ces dirigeants d’entreprises ont été en hausse de 50 % par rapport à la même période l’an dernier.
Certains ont même décidé de récolter les fruits de leurs actions pour la première fois depuis des années. C’est le cas, par exemple, de Sergei Brin et Larry Page, les deux cofondateurs de Google, qui n’avaient pas vendu d’actions depuis 2017 et ont empoché, chacun, environ 1,5 milliard de dollars en se délestant d’une partie de leurs titres.
D’autres ont mis le pied sur l’accélérateur, comme Mark Zuckerberg. Le fondateur de Facebook a multiplié par sept le nombre d’actions vendues cette année, la plupart en novembre, par rapport à l’an dernier, ce qui lui a permis de gagner 4,5 milliards de dollars.
Cette fièvre boursière qui a gagné le petit monde des dirigeants s’explique d’abord “par la proximité du changement de cadre fiscal aux États-Unis”, estime Alexandre Baradez.
Les patrons craignent, avant tout, l’entrée en vigueur, prévue en 2022, d’une réforme fiscale visant à taxer les gains en capital non réalisés. Il s’agit, pour simplifier, d’une mesure proposée par l’administration Biden pour imposer davantage les milliardaires via les actions qu’ils possèdent.
D’où une ruée sur la vente d’actions avant d’avoir à payer des taxes sur ces participations. Elon Musk, le patron de Tesla, a été l’un des plus importants pourfendeurs de ce plan de taxation des gains non réalisés. Son sondage sur Twitter, posté début novembre, demandant à ses abonnés s’il devait vendre 10 % de ses parts de Tesla était, en partie, motivé par le désir de ne pas avoir à payer une trop grande addition au fisc si la nouvelle taxe venait à voir le jour, rappelle le New York Times.
Avec ces ventes d’actions, “les très riches contribuables peuvent ainsi espérer économiser jusqu’à 8 millions de dollars en impôt chaque fois qu’ils vendent pour 100 millions de dollars d’actions avant l’entrée en vigueur de la réforme fiscale”, résume l’expert en comptabilité Daniel Taylor au Washington Post.
La Silicon Valley en tête
Mais cette frénésie boursière ne tient pas à la seule “taxophobie” du gratin du SP&500. Ils savent aussi “que les valorisations actuelles sont généreuses et anticipent que ça ne va pas continuer à monter”, suggère Alexandre Baradez.
L’une des raisons de ce pessimisme tient à la certitude des chefs d’entreprise cotées “que le gouvernement américain va resserrer les vis des aides sociales”, estime l’analyste d’IG France. La fin de ces aides risque non seulement de freiner la consommation des ménages, mais pour la frange la plus aisée des bénéficiaires de ces subventions publiques, l’argent a souvent été réinvesti dans les marchés financiers. C’est ce qu’on a appelé le “boom” des petits investisseurs durant la crise sanitaire, dont l’épisode GameStop a été l’illustration la plus médiatique.
Cet appétit des particuliers pour la Bourse “a contribué aux bonnes performances du marché des actions, et si les aides se réduisent cela peut avoir un impact boursier”, conclut Alexandre Baradez. Les patrons et autres cadres exécutifs cherchent donc à vendre avant qu’il ne soit trop tard et que les cours dévissent.
Ce n’est pas un hasard non plus si la grande majorité des dirigeants qui se délestent de leurs actions viennent du secteur de la Tech. Ils ont, en effet, vendu pour près de 41 milliards de dollars d’actions sur le seul mois de novembre 2021, soit plus de 60 % du total des ventes réalisées, précise le Wall Street Journal.
“C’est comme si une génération de dirigeants de la Silicon Valley était arrivée à maturité et voulait profiter de l’occasion pour réévaluer les projets dans lesquels ils investissent”, note Alexandre Baradez.
Dans certains cas, cette quête de renouveau est évidente. Jeff Bezos, le patron d’Amazon, “a ainsi vendu une partie de ses titres pour financer ses activités spatiales”, rappelle Alexandre Baradez. L’argent récolté par Mark Zuckerberg devrait l’aider à donner un coup d’accélérateur au développement des projets de Facebook dans les métavers.
Toutes ses ventes risquent cependant d’avoir un effet plus large sur le marché. “On dit souvent que lorsqu’un patron vend des actions de sa propre entreprise, c’est qu’il n’est plus aussi optimiste sur l’avenir de son groupe”, rappelle l’analyste d’IG France. Généralement, c’est un signal pour les autres actionnaires qui chercheraient alors à se débarrasser eux-aussi de leurs titres.
D’où un danger de panique boursière, surtout dans une situation où les PDG semblent s’être donné le mot pour vendre leurs actions en même temps. Mais Alexandre Baradez n’y croit pas, car les motivations des dirigeants n’ont rien à avoir avec la confiance ou non dans la bonne fortune de leur groupe, et les autres investisseurs l’ont compris, selon lui.
En revanche, “c’est clairement le signe que le temps des excès boursiers pour les entreprises tech est révolu”, estime cet expert. Après une décennie dorée où rien ne semblait pouvoir arrêter les hausses des valeurs technologiques, les ventes records d’actions indiquent que les dirigeants eux-mêmes ont fini par se convaincre que leur secteur était en surchauffe boursière.
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