Publié le : 09/12/2021 – 17:33
Des images satellites, publiées récemment, permettent de mieux évaluer l’effort militaire russe à la frontière ukrainienne. Et la petite ville d’Ielnia y joue un rôle de premier plan. Explications.
Les Américains ont évoqué plus de 70 000 soldats russes à la frontière avec l’Ukraine, début décembre. Kiev a même estimé, mardi 7 décembre, leur nombre à près de 90 000.
Washington s’inquiète ouvertement de cette escalade militaire, et la crainte d’une invasion de l’Ukraine par la Russie a été le point central du sommet virtuel, le 7 décembre, entre le président américain, Joe Biden, et son homologue russe, Vladimir Poutine. Ce dernier soutenant que les mouvements de troupes n’indiquaient nullement que Moscou avait opté pour l’option militaire contre Kiev.
Beaucoup de bruit de bottes pour à peine 10 000 habitants
Mais il n’y a pas que le nombre de soldats à la frontière qui compte. Les observateurs militaires s’intéressent aussi de très près aux endroits où ces soldats sont déployés pour essayer de décoder les intentions russes. Et “depuis trois semaines, tous les regards sont tournés vers la petite ville de Ielnia, au sud-est de Smolensk”, rapporte le Washington Post.
Ce ne sont pas les 9 573 âmes qui peuplent cette bourgade qui intéressent les analystes militaires, mais le fait que toutes les récentes photos satellites diffusées par les médias montrent que Ielnia est devenu l’un des épicentres des mouvements de troupes russes depuis le printemps.
Cette ville était “depuis 2016, avant tout le QG de la 144e division motorisée de l’infanterie terrestre”, rappelle Tracey German, spécialiste des questions de sécurité extérieure russe au King’s College de Londres, contactée par France 24.
Mais des photos publiées début novembre par la société d’imagerie satellite Maxar démontrent que le contingent militaire sur place s’est fortement développé. Il a reçu le renfort d’au moins 500 véhicules blindés, d’un régiment de tank, de lanceurs de missiles balistiques et de troupes de support logistique et de communication, résume le cabinet de conseil militaire polonais Rochan Consulting, dans une analyse des clichés de Maxar.
En outre, une partie de cet équipement militaire entreposé dorénavant à Ielnia servait auparavant aux bataillons en poste en Sibérie et dans l’Oural, note Janes, un cabinet de conseil en sécurité militaire cité par le Washington Post. “Le fait que Moscou ait fait venir du matériel d’aussi loin que Novossibirsk n’est pas anodin”, souligne Gustave Gressel, spécialiste des questions militaires russes au Conseil européen pour les relations internationales, contacté par France 24.
Surtout, ces armements n’ont pas fait qu’un petit tour à l’ouest avant de s’en retourner vers la Sibérie. Les renforts sont arrivés aux abords de la frontière ukrainienne au printemps dernier et après avoir bougé d’un endroit à l’autre, ce matériel semble désormais affecté à Ielnia.
Défendre Moscou, viser l’Ukraine… ou la Biélorussie ?
Ce n’est pas la première fois que Ielnia se révèle être un carrefour militaire important pour la Russie. “C’est le lieu d’une bataille importante durant la Seconde Guerre mondiale [première contre-offensive réussie des Soviétiques contre les Allemands en 1941, NDLR] et un grand camp militaire y avait été installé durant la Guerre froide avant d’être abandonné après la chute de l’URSS”, souligne Ofer Fridman, spécialiste des questions militaires russes au King’s College de Londres, contacté par France 24.
L’importance stratégique de Ielnia tient à sa localisation géographique. D’abord pour des raisons défensives : la ville se trouve à plus de 370 km à l’ouest de Moscou, et “le Kremlin juge que c’est la base militaire la plus importante pour protéger la capitale”, souligne Ofer Fridman. Pour lui, “si un ennemi prend Ielnia, il n’y a plus grand chose qui peut arrêter sa marche vers Moscou”.
Un renforcement de la présence militaire dans cette petite bourgade et, de ce point de vue, très indicatif de la nervosité de la Russie. C’est une manière de se préparer à un éventuel conflit ouvert. “Ce n’est pas un hasard si l’armée a décidé de réinvestir la ville en 2016 [après l’escalade des tensions qui ont suivi l’annexion de la Crimée en 2014, NDLR]”, ajoute Ofer Fridman.
Ielnia est aussi très bien située, “non loin de la frontière avec la Biélorussie, et du nord de l’Ukraine”, affirme Tracey German. En d’autres termes, c’est “le point de départ naturel de toute offensive vers le nord [Biélorussie] et le sud [Ukraine]”, précise Ofer Fridman, son collègue au King’s College de Londres.
Cette localisation fait la différence, aux yeux de Gustav Gressel. “Si on veut comprendre l’intensité de l’effort de mobilisation russe à la frontière ukrainienne, on peut aussi observer ce qui se passe au camp d’entraînement de Pogonovo (à 250 km à l’est de l’Ukraine) ou à Novoozerne, en Crimée, où l’arrivée de renforts militaires et la construction de nouveaux baraquements ont été constatés. Mais seules les troupes qui arrivent à Ielnia peuvent servir sur plusieurs fronts”, note cet expert du Conseil européen pour les relations internationales.
D’ailleurs, Gustav Gressel ne serait pas surpris si Moscou profitait que tous les regards soient tournés vers la mobilisation russe à la frontière ukrainienne pour réaffecter, en toute discrétion, une partie de ses forces à un endroit où elles pourraient surtout servir en cas de conflit avec l’Otan au sujet de la Biélorussie.
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