Bruxelles proposera jeudi un arsenal de mesures pour renforcer les droits des travailleurs des plateformes numériques comme Uber, Deliveroo ou Bolt, notamment en fixant des critères pour déterminer s’ils doivent être ou non considérés comme salariés.
Alors que les millions de livreurs et chauffeurs travaillant pour ces plateformes sont par défaut traités comme indépendants, compliquant leur accès à une couverture sociale, le projet de la Commission européenne, qui devra être approuvé par les Etats et les eurodéputés, veut clarifier leur statut.
A travers l’UE, des tribunaux ont rendu plus d’une centaine de décisions et des centaines d’autres sont en attente sur des contentieux.
Si les jugements, de l’Espagne aux Pays-Bas, ont pour la plupart requalifié comme salariés les travailleurs des plateformes épinglées, d’autres décisions vont en sens contraire: un tribunal belge a débouté mercredi plusieurs dizaines de coursiers Deliveroo qui souhaitaient être reconnus comme salariés.
En France, Uber fait l’objet depuis 2015 d’une enquête pour « travail dissimulé » visant les conditions d’emploi de ses chauffeurs de VTC, a indiqué mercredi à l’AFP une source proche du dossier.
Soucieuse d’harmonisation, Bruxelles devrait proposer cinq critères, en examinant notamment si une plateforme détermine via son application des niveaux de rémunération, impose le port d’uniforme ou l’usage de certains équipements, ou interdit de travailler pour d’autres entreprises.
Livreur pour Deliveroo empilant des sacs de livraison à Bordeaux le 28 août 2017 (AFP – GEORGES GOBET)
Si au moins deux critères étaient remplis, la plateforme serait considérée comme employeur, et devrait se soumettre aux obligations du droit du travail (salaire minimum, temps de travail, normes de sécurité…) imposées par la législation du pays concerné.
Le texte imposerait également une transparence accrue sur le fonctionnement des algorithmes des applications.
-« Enormes bénéfices »-
« Pendant trop longtemps, les plateformes ont réalisé d’énormes bénéfices en se soustrayant à leurs obligations fondamentales aux dépens des travailleurs, tout en assurant de façon mensongère qu’elles leur offraient le choix », estime Ludovic Voet, président de la CES (confédération de syndicats européens).
Les plateformes pourraient s’opposer au statut d’employeur si elles parviennent à démontrer le statut d’indépendant de leurs travailleurs, au regard du droit national.
Chauffeurs Uber manifestant à Bruxelles le 25 novembre 2021 (AFP – Kenzo TRIBOUILLARD)
Si les plateformes de livraisons de repas ou véhicules avec chauffeur (VTC) sont les premières visées, des services en ligne (traduction…) sont également concernés: en tout, quelque 500 entreprises et 28 millions d’employés.
A la mi-septembre, le Parlement européen avait appelé la Commission à « garantir la sécurité juridique » des travailleurs des plateformes en faisant en sorte qu’ils n’aient plus à prouver leur lien de subordination à leur employeur en cas de litige.
« Ces plateformes prétendent être des intermédiaires, alors qu’en pratique elles déterminent tarifs, horaires, conditions de prestation », observait alors la députée européenne Leila Chaibi (GUE/NGL, gauche). Sa formation saluait mercredi le projet de la Commission comme une « victoire enthousiasmante ».
En préservant la possibilité de rester indépendant tout en offrant des « critères clairs et précis » pour le statut de salarié, « la flexibilité et la grande diversité des plateformes devraient être respectées », ajoutait l’eurodéputée Anne Sander (PPE, droite).
L’UE dispose de peu de compétences en matière de droit du travail, et les plateformes sont confrontées à un large éventail de règles nationales.
Logo Uber au siège de l’entreprise le 8 mai 2019 à san Francisco (AFP/Archives – Josh Edelson)
En Espagne, les livreurs de repas sont désormais reconnus comme employés –poussant Deliveroo à quitter ce marché. Dans d’autres Etats, les tribunaux ont ordonné aux plateformes de conclure des conventions collectives même si les travailleurs restent indépendants.
Les plateformes s’opposent farouchement à toute requalification importante des travailleurs: outre la fragilisation de leur modèle économique, elles pointent une étude du cabinet Copenhagen Economics prédisant qu’un tel scénario obligerait quelque 250.000 personnes dans l’UE à quitter le secteur.
Des critères trop vagues pourraient entraîner une multiplication des procédures judiciaires, avec « des conséquences désastreuses pour les travailleurs eux-mêmes, les restaurants et l’économie au sens large », a averti la fédération Delivery Platforms Europe dans un communiqué.
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