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Les fractures de la Nouvelle-Calédonie ravivées à l’aube du dernier référendum sur l’indépendance

La Nouvelle-Calédonie va se prononcer le 12 décembre, pour la troisième fois, par référendum sur son indépendance. Ce vote, très attendu, clôturera un chapitre de l’histoire de la collectivité d’Outre-mer. Mais des désaccords entre les indépendantistes et les partisans du maintien de la souveraineté française renforcent les tensions et l’irruption d’une vague de Covid-19 sur l’île compliquent la tenue de ce scrutin. 

Plus de 185 000 électeurs calédoniens devront, dimanche 12 décembre, répondre à nouveau à la question : « Voulez-vous que la Nouvelle-Calédonie accède à la pleine souveraineté et devienne indépendante ? » Ce troisième et ultime référendum sur l’autodétermination a lieu dans un contexte agité, en raison des désaccords entre les partisans de l’indépendance et les loyalistes. 

Parmi les points de discorde figure en premier lieu la date du scrutin, qui a été convenue en juin après des discussions entre loyalistes, indépendantistes et des représentants de l’État à Paris. « Les échanges ont démontré qu’il y avait une forme d’urgence à travailler au jour d’après. L’intérêt général commandait de faire cette consultation référendaire le plus rapidement possible », avait affirmé le ministre des Outre-mer, Sébastien Lecornu, pour justifier le choix de cette échéance. Mais la décision ne fait pas consensus : si elle convient aux loyalistes qui voulaient agir le plus rapidement possible, elle ne satisfait pas les indépendantistes, qui auraient souhaité un référendum en septembre 2022 pour prendre le temps de se préparer. 

Mardi, le Conseil d’État a rejeté la demande d’un collectif de citoyens de reporter le référendum, estimant que le contexte sanitaire ne faisait « pas obstacle » au déroulement du scrutin.

Début septembre, la pandémie de Covid-19 a frappé la Nouvelle-Calédonie, qui avait pourtant été plutôt épargnée jusqu’alors. Un confinement a été décrété et le secteur hospitalier a été mis à rude épreuve. La vague épidémique, qui a débuté le 6 septembre, a fait 279 morts, mais elle est désormais en net repli, avec un taux d’incidence sous la barre des 50 cas pour 100 000 habitants. Pour les indépendantistes, la pandémie « empêche de mener une campagne équitable ». Ils réclament donc un report de la consultation pour respecter le deuil kanak. Ce peuple autochtone – les Kanaks – représente 41 % de la population en Nouvelle-Calédonie et correspond aux premiers habitants du pays, contrairement aux descendants des colons blancs, les Caldoches. Aujourd’hui, la majorité des indépendantistes sont kanaks mais tous les Kanaks ne sont pas indépendantistes. Marginalisés pendant des années, notamment pendant la colonisation, les Kanaks ont développé une identité culturelle forte.

« Le temps du deuil, dans le pays kanak, n’est pas celui de la politique »

« Il y a un vrai problème de gestion cultuelle des morts [de la pandémie] qu’il faut enterrer selon les rites locaux habituels » dans la culture kanak, explique, sur l’antenne de France 24, Benoît Trépied, anthropologue, chargé de recherches au sein du CNRS. « Quand quelqu’un meurt, il y a des grands échanges coutumiers, des dons, des mobilisations familiales importantes […] Tant que ces rituels ne sont pas pratiqués, il est extrêmement difficile [pour les Kanaks] de passer à autre chose et les gens restent dans une attitude de retrait. Le temps du deuil en Nouvelle-Calédonie, dans le pays kanak, n’est pas celui de la politique », précise le chercheur de l’Institut de recherche interdisciplinaire sur les enjeux sociaux. 

En outre, « les Kanaks et communautés océaniennes installés en Nouvelle-Calédonie sont très marqués par le Covid-19 parce qu’ils sont socialement les moins favorisés et ont le moins accès aux soins », affirme à France 24 Sarah Mohamed-Gaillard, maîtresse de conférence en histoire contemporaine à l’Inalco et spécialiste de l’histoire de l’Océanie.

Dans ce contexte, les partis indépendantistes ont déclaré que « ce référendum sera politiquement illégitime » et que son résultat « ne pourra pas constituer une base de discussion ». Ils ont donc appelé les Néo-Calédoniens à ne pas participer à la consultation. Ils ont aussi prévenu qu’ils ne reconnaîtraient pas le résultat et qu’ils le contesteraient devant les Nations unies.

Ce « boycott » change la donne : lors des deux derniers référendums, tous les partis politiques avaient appelé à voter. Lors des précédentes consultations, les Néo-Calédoniens se sont fortement mobilisés : en 2020, par exemple, le taux de participation a atteint plus de 85 %

« L’avenir de la Nouvelle-Calédonie ne peut être tranché sans la participation des Kanaks, peuple premier », précise Sarah Mohamed-Gaillard. L’enseignante-chercheuse rappelle également que ce « référendum d’autodétermination n’est pas ouvert à l’ensemble des personnes qui vivent en Nouvelle-Calédonie mais aux citoyens calédoniens, donc aux personnes inscrites sur une liste référendaire restreinte ». 

Benoît Trépied pointe, de son côté, « une situation paradoxale » avec « un référendum d’autodétermination où l’immense majorité des Kanaks, qui représente le peuple colonisé, ne se prononce pas sur cette question de la souveraineté, ce qui est un non-sens politique ». Mardi, Sébastien Lecornu a, par ailleurs, appelé à « participer massivement à ce scrutin », boudé par les indépendantistes, car « les résultats s’imposeront », et que « personne n’est propriétaire des voix des uns et des autres ».

Un avenir qui doit passer par le dialogue

Le troisième référendum est une étape décisive pour la Nouvelle-Calédonie. Il devra mettre fin à une situation politique en suspens depuis 40 ans et au processus de décolonisation de la Nouvelle-Calédonie. Le troisième référendum doit mettre fin à l’accord de Nouméa, signé le 5 mai 1998, dix ans après les accords de Matignon, conclus pour mettre fin au conflit entre les loyalistes et les indépendantistes. L’accord de Nouméa a permis de mettre en place les consultations de transférer certaines compétences de la France vers la Nouvelle-Calédonie. Selon le texte, « si la réponse est encore négative [après trois référendums], les partenaires politiques se réuniront pour examiner la situation ainsi créée ».

Lors des deux dernières consultations, le « non » l’avait emporté avec 56,67 % des voix en 2018 et 53 % des voix en 2020. Mais l’écart entre partisans et adversaires de l’indépendance s’est nettement resserré lors du deuxième référendum, par rapport au premier.

Concernant la consultation de dimanche, « si la dynamique consensuelle, avec un appel global de tous les citoyens à se prononcer sur cette question, avait été maintenue dans de bonnes conditions, […] il y aurait certainement eu un très faible écart » entre le nombre de partisans du « non » et du « oui », indique Benoît Trépied. Selon lui, cette situation aurait été « la meilleure façon de continuer un dialogue et de trouver un compromis ». 

« Tout l’enjeu va être de renouer le dialogue à partir du 13 décembre. Ce dialogue devra avoir lieu entre les indépendantistes et les non-indépendantistes mais aussi avec l’État, parce que l’État est le troisième partenaire des accords de Matignon et il doit arbitrer entre les deux camps », abonde Sarah Mohamed-Gaillard.

« Au lendemain de la dernière consultation d’autodétermination, l’État, dont c’est le rôle et la responsabilité historique, reprendra l’initiative du dialogue pour la période de transition de 18 mois qui s’ouvrira alors », avait déclaré Emmanuel Macron, le 18 novembre devant le Congrès des maires de France. L’État a publié un document « les conséquences du oui et du non », destiné à être une base de travail. Mais arguant qu’il est « à charge contre l’indépendance », le Front de libération nationale kanak et socialiste (FLNKS), qui rassemble les partis indépendantistes, a rejeté ce document. De longues discussions sont encore à prévoir, et le dossier est loin d’être clos. 

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