LETTRE DE SAO PAULO
Au Détachement d’opérations d’information-Centre opérationnel de défense intérieure (DOI-CODI), à Sao Paulo (Brésil), en juillet 2018. OSWALDO OLIVEIRA SANTOS JUNIOR / NUCLEO DE PRESERVAÇAO DA MEMORIA POLITICA
Ce sont sept petites marches de pierre, usées par l’humidité et le temps qui passe. Pour les monter, il faut pousser une porte de prison aux barreaux rouillés à l’entrée d’un immeuble sans âme. Maurice Politi, 72 ans, barbe et cheveux grisonnants, l’a fait des centaines de fois au cours de son existence. Mais jamais sans difficulté. Ni sans un certain effroi. « Ici, c’était la succursale de l’enfer », lâche-t-il.
En ce début d’été austral, il fait sombre à 14 heures et il pleut fort sur le 921 de la rue Tutoia, en plein cœur de Sao Paulo. On ne saurait imaginer atmosphère plus lugubre. Mais les lieux s’y prêtent. Car ce petit bâtiment quelconque de deux étages, que Maurice nous propose de visiter, est de sinistre réputation. De 1969 à 1982, il fut en effet l’un des principaux centres de torture de la dictature brésilienne.
Selon les associations, au moins 7 000 personnes furent ici suppliciées et plusieurs dizaines assassinées. L’endroit est sinistre, maudit. Hanté même, dit-on. « Certains prétendent y avoir vu des fantômes », explique Maurice, qui n’avait que 21 ans, en mars 1970, lorsque lui aussi dû monter une à une les marches du n° 921. Militant au sein de l’Action de libération nationale (ALN), l’un des groupes révolutionnaires du pays, il venait d’être dénoncé et arrêté.
« C’était sans limite, médiéval »
Le Brésil vit alors ses années de plomb. Au pouvoir, le président et général Emilio Garrastazu Médici suspend les libertés et déclenche une répression féroce contre les activistes de gauche. Pour ce faire, l’armée crée le Détachement d’opérations d’information-Centre opérationnel de défense intérieure, mieux connu sous l’acronyme « DOI-CODI ». Celui-ci monte des centres d’interrogatoire à Rio, Recife ou encore Sao Paulo. Rue Tutoia.
« Le “perchoir à perroquet”, on pouvait y rester des heures, voire des jours. La douleur à la colonne vertébrale était atroce. » Maurice Politi, torturé en 1970
En haut des marches, il y a des pièces. Certaines grandes, d’autres petites. Toutes sombres, poussiéreuses, le sol défoncé. Soudain, Maurice se fige et pointe un pan de mur. « C’est là qu’on recevait les premiers coups ! », raconte-t-il. Déshabillés, les prisonniers sont pendus à un bout de bois, pieds et poings attachés : « On appelle ça le “perchoir à perroquet”. On pouvait y rester des heures, voire des jours. La douleur à la colonne vertébrale était atroce. »
Le pire se joue dans une salle attenante, munie de prises et d’interrupteurs. « Là se trouvait la chaise électrique », se souvient Maurice. « Le niveau de barbarie était inimaginable. C’était sans limite, médiéval. Ces types étaient des sadiques. Ils torturaient en riant. Certains même se masturbaient devant leurs victimes. » Durant ces « séances », les fenêtres sont laissées grandes ouvertes. « Tout le quartier entendait nos cris. »
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