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Amazon tente de torpiller une loi protégeant les libraires

Le géant du e-commerce Amazon a proposé au gouvernement français de relever les frais d’envoi de livres en France aux alentours de 2,00 euros, contre une quasi-gratuité actuellement, à condition que le Parlement renonce à une loi définissant un prix de port minimal afin de favoriser les librairies indépendantes, a appris Reuters de sources parlementaires. Une réunion à ce sujet s’est tenue le 25 août au ministère de la Culture en présence de la ministre Roselyne Bachelot et du patron de la division Livres d’Amazon, David Naggar, venu de Seattle aux Etats-Unis. Informée du contenu de ce rendez-vous auquel elle n’a pas assisté, la sénatrice (Les Républicains) à l’origine de la proposition de loi, Laure Darcos, s’est entretenue avec des responsables d’Amazon, en particulier Yohann Bénard, directeur des affaires publiques pour l’Europe du Sud. « Il m’a dit à peu près la même chose que ce qui a été dit à la ministre : ils étaient prêts à augmenter les frais de port des livres jusqu’à 1,80-2,00 euros hors abonnement Premium pour les aligner sur les biens de consommation à une condition : que l’on retire notre mesure pour que ça ne bénéficie pas aux libraires », a-t-elle raconté à Reuters.

Amazon craint que le loi française fasse tâche d’huile

Selon une autre source, Amazon a proposé de garantir le prix proposé jusqu’en avril 2022, qui correspond à l’élection présidentielle en France. Le géant du e-commerce n’a pas fait de commentaire sur ce point. Une troisième source parlementaire a déclaré qu’une « proposition de tarif » avait été faite pendant la réunion au ministère. « Je n’ai pas le chiffre exact mais 1,80-2,00 euros me paraît cohérent », a-t-elle dit. Plusieurs sources ont en outre évoqué la crainte d’Amazon de voir la législation française donner des idées à d’autres pays européens. Le ministère de la Culture a confirmé à Reuters la tenue de la réunion du 25 août sans donner aucun autre détail. Interrogé par Reuters, Amazon n’a confirmé ni la tenue de la réunion, ni son contenu. Il n’a pas démenti qu’une proposition ait été faite. Les responsables d’Amazon – dont le premier métier était la vente de livres avant de passer à d’autres biens de consommation – ont multiplié les rencontres pour plaider leur cause contre un texte approuvé par des élus de tous bords politiques, et soutenu par le président Emmanuel Macron.

Un gros travail de lobbying

Outre Roselyne Bachelot et Laure Darcos, et en plus des auditions parlementaires, des entretiens ont été organisés à la demande du groupe américain, notamment avec Laurent Lafon et Céline Boulay-Espéronnier, respectivement président et rapporteure de la commission des Affaires culturelles du Sénat, ainsi qu’avec la députée (La République en marche) Céline Calvez, membre de la commission culturelle de l’Assemblée, dont la circonscription englobe le siège social d’Amazon, à Clichy (Hauts-de-Seine). Le travail de lobbying est assuré par Yohann Bénard, qui a travaillé aux côtés de l’ancien Premier ministre François Fillon et de l’ex-ministre de l’Economie Christine Lagarde avant d’entrer chez Amazon. « C’est un ancien de Matignon. Il sait très bien comment ça marche », souligne une parlementaire.  

Quarante ans après l’instauration du prix unique du livre, Sénat et Assemblée doivent adopter en lecture définitive, les 16 et 19 décembre respectivement, la proposition de loi « visant à améliorer l’économie du livre et à renforcer l’équité entre ses acteurs », dont la mesure-phare consiste à instaurer un prix plancher pour les livraisons. Une fois la loi promulguée, des négociations entre le ministère de l’Economie, celui de la Culture et l’Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (Arcep) devraient déboucher sur un arrêté, conduisant à facturer quelques euros l’envoi d’un livre – là où Amazon, suivi par d’autres groupes comme la Fnac, le limite aujourd’hui à un centime d’euro. La mesure prendra effet six mois après la publication de l’arrêté et un rapport parlementaire sera rédigé dans les trois ans pour en mesurer les effets, notamment en terme de pouvoir d’achat et d’accès au livre des ruraux. Des thèmes développés dans une tribune du directeur général d’Amazon France, Frédéric Duval, envoyée aux clients juste avant le vote de la loi à l’Assemblée nationale, début octobre.

Un porte-parole d’Amazon a déclaré à Reuters que 43% de ses livraisons de livres en France étaient destinées à des communes dépourvues de librairies. Une hausse des frais de port représenterait un coût supplémentaire pour les consommateurs français d’environ 250 millions d’euros par an, a-t-il ajouté. Plus de 20% des 435 millions de livres achetés en 2019 l’ont été via internet en France, qui compte environ 3.000 librairies indépendantes.

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