Seulement voilà, “ce n’est pas anecdotique car à l’échelle de l’éleveur, cela peut le plomber financièrement”, explique Laurent Champeau, directeur du Comité régional de la conchyliculture de Charente-Maritime. Dans les locaux de La Belle des marais, son établissement ostréicole, Annie Grimbert abonde: “Se faire voler une production, ça met une année en l’air.” Son entreprise familiale -deux gérants et un salarié- produit dix à douze tonnes d’huîtres par an. Autant dire que si elle se faisait voler trois tonnes, comme cela est arrivé il y a quelques semaines à un éleveur de l’Île-de-Ré, elle ne se relèverait pas. L’éleveuse, emmitouflée dans sa polaire, explique s’apprêter à encore un peu plus renforcer la vidéosurveillance de son établissement.
Arnaud et Annie Grimbert, en reconversion professionnelle, se sont lancés dans l’ostréiculture il y a cinq ans.
Audrey Rivaud, économiste à l’université Montpellier 3, spécialiste de la filière ostréicole, explique: « Le secteur de l’ostréiculture est très résilient, mais il est soumis ces dernières années à de nombreuses crises, avec des tempêtes, des naufrages de pétroliers, et une augmentation de la mortalité des huîtres commercialisables depuis 2010. Entre 2002 et 2012, 30.000 emplois ont disparu. » Dans ce contexte, un vol peut être particulièrement douloureux.
« C’est vexant, décevant, décourageant »
A la blessure économique s’ajoute l’égratignure personnelle. Ludovic Guintini, 55 ans dont 40 passés dans l’ostréiculture, ne tient pas en place lorsque l’on évoque les vols qu’il a subis pendant des années: “Avec mon père, on se faisait voler 500 à 600 kilos, très régulièrement. Une huître, c’est trois à quatre ans de travail. C’est vexant, décevant, décourageant”. La maître de conférence Audrey Rivaud analyse: « L’ostréiculture s’apparente à de l’élevage. Et on développe une relation sentimentale avec son élevage.”
Ludovic Guintini, ostréiculteur depuis ses 16 ans, produit 200 tonnes d’huîtres par an.
Mais qui sont les voleurs d’huîtres? D’autres ostréiculteurs, estiment les professionnels comme Annie Grimbert. Ludovic Burette, de la gendarmerie de Rochefort, reconnaît à demi-mot: “La difficulté, c’est que pour entreprendre ces vols, il faut avoir une filière où les écouler.” Audrey Rivaud, économiste, pense que certains ostréiculteurs peuvent être en difficulté pour honorer leur carnet de commandes. Elle ajoute: « L’ostréiculture est une profession assez individuelle et peu fédérée. C’est historiquement moins collectif que l’agriculture, ils ont moins de matériel partagé ». Alors, à Bourcefranc-Le-Chapus, la suspicion plane. Philippe Lagarre, ostréiculteur, un sourire au coin des lèvres, raconte: “J’ai sûrement eu des vols par un voisin, mais je ne l’ai jamais pris la main dans le sac”. Il ajoute: “L’été, les touristes volent. Ce n’est pas grand-chose, mais un petit vol, auquel s’ajoute un autre, puis un autre, ça fait beaucoup.”
Des caméras de vidéosurveillance installées
Et cette année, pour Noël, les craintes sont accrues. Les huîtres ont peu poussé, et la demande est forte. « L’hypothèse la plus probable, c’est qu’il y ait eu moins d’alimentation pour les coquillages, à savoir les micro-algues », explique la chercheuse Audrey Rivaud. “Lorsqu’il y a des années de production plus faibles que d’autres, on voit une montée en puissance des vols”, explique Laurent Champeau, du Comité régional de la conchyliculture. En effet, les prix montent, en raison de la raréfaction de l’offre. Ludovic Guintini évoque certaines huîtres, dont le prix au kilo a augmenté de plus de 50%. Par ailleurs, les difficultés des ostréiculteurs à honorer toutes leurs commandes sont aggravées. Sarah Bon, gérante des établissements Lambert, explique ne plus prendre de nouveaux clients cette année.
Les établissements de Julien Léger (à gauche) trient les différents calibres d’huîtres.
A Bourcefranc-Le-Chapus, où l’ostréiculture “est le pilier de la commune”, on cherche des solutions contre les vols. “On a mis en place des caméras de vidéosurveillance sur les chemins ostréicoles les plus importants. Cela a permis de repérer des véhicules qui tournaient la nuit, et la gendarmerie a pris le relais”, détaille le maire, Guy Proteau. Mais, reconnaît l’édile, “les voleurs viennent parfois par la mer”.
Des patrouilles de gendarmes
Certes, de nombreux établissements ont leur propre système de vidéosurveillance. Mais là encore, leur efficacité est limitée, comme le note Sarah Bon des établissements Lambert: “On ne peut pas surveiller nos 50 hectares de marais, c’est impossible”. La gendarmerie de Charente-Maritime fait aussi des patrouilles autour de Noël, et des rondes en mer sont mises en place.
Les systèmes de vidéo-surveillance des établissements se généralisent, selon les professionnels de l’ostréiculture.
Les syndicats s’activent. Le Comité régional de la conchyliculture (CRC) de Charente-Maritime a mis en place un système d’alerte par SMS lorsqu’un ostréiculteur est victime de vol, et fait appel à des gardes-jurés, des agents assermentés qui veillent sur un secteur. Certains éleveurs paient également, collectivement, pour les fêtes, un vigile de nuit pour veiller sur l’ensemble de leurs établissements.
L’huître connectée: une solution?
Du côté de la Méditerranée, le syndicat local développe actuellement trois axes de réflexion: le développement d’un système identifiant rapidement si un bateau ostréicole est bien dans son secteur d’activité, la mise en place de procès-verbaux simplifiés pour pousser les professionnels à porter plainte systématiquement, et un contrôle par drone. Fabrice Grillon Gaborit, membre du CRC de Méditerranée, ajoute: “On se bat pour que les professionnels condamnés pour vol écopent d’une interdiction de pratiquer la profession quelques mois. Un arrêté préfectoral interdit aussi la navigation de nuit, entre 18h et 6h, entre fin novembre et début janvier”, moment où la plupart des vols se font.
Le tri des différents calibres d’huîtres bat son plein aux établissements Léger.
Mais c’est un autre système qui attire les regards depuis quelques années: l’huître connectée. Créée par la start-up Flex Sense, cette huître factice géolocalisée envoie une alerte par SMS à l’ostréiculteur lorsqu’elle bouge. Emmanuel Parlier, fondateur de la start-up, explique: “Je suis expert judiciaire en cour d’appel dans le domaine de l’aquaculture. Je traitais souvent de vols d’huîtres, et je me suis dit à un moment qu’il fallait faire quelque chose. Les vols par an en France se comptent en centaines de tonnes.” L’entrepreneur lance le projet en 2014. Une huître connectée coûte 150 euros, auxquels s’ajoute un abonnement à dix euros par mois.
“Chaque huître connectée correspond à 2.000 euros de garantie d’assurance »
Et, avec l’abonnement, est compris un contrat d’assurance chez Groupama. “Chaque huître connectée correspond à 2.000 euros de garantie d’assurance. Et les ostréiculteurs les achètent généralement par demi-douzaine”, explique Emmanuel Parlier, dont l’entreprise est mandataire intermédiaire d’assurance. Les éleveurs d’huîtres sont d’ailleurs obligés d’acheter une huître connectée pour être éligibles au contrat. L’objet sert à prouver qu’un vol a bel et bien eu lieu, grâce à son éventuelle disparition. “Autrement, le lien de causalité est difficile à prouver.”
Des poches à huîtres entassées, à l’entrée des établissements Lambert, à Bourcefranc-Le-Chapus.
Autre utilité de l’huître connectée: remonter jusqu’au voleur, grâce au traceur. Une méthode que Ludovic Burette de la gendarmerie de Rochefort espère mettre en œuvre prochainement mais n’a pas encore pu utiliser. Car la gendarmerie peine pour l’instant à retrouver les coupables. Difficile en effet de distinguer une huître volée d’une autre huître. Des poches à huîtres personnalisées ont été développées pour identifier les coquillages, mais les voleurs peuvent aisément s’en débarrasser.
« On a mis des pièges »
Deux coups de filets ont pourtant eu lieu ces dernières années en Charente-Maritime: des huîtres gravées au nom du géant de l’ostréiculture à Bourcefranc, la maison Gillardeau, ont permis de montrer qu’elles avaient été volées. Et, grâce à une analyse de la qualité des eaux des huîtres d’un éleveur qui dénotait de celle de ses autres huîtres, sept tonnes d’huîtres volées ont été retrouvées.
Bourcefranc-Le-Chapus est le premier port ostréicole de Marennes-Oléron.
Nombreux sont les ostréiculteurs à ne pas avoir souscrit aux huîtres connectées: “Si on veut que ça soit efficace, il faut en acheter beaucoup, et on n’a pas forcément les moyens”, explique Annie Grimbert, chaque ostréiculteur ayant de nombreux bassins, parfois sur différents sites. Alors, l’ostréicultrice use de méthodes traditionnelles: “On a emménagé le premier étage de notre établissement ostréicole pour pouvoir y dormir. C’est une option qu’on va envisager à l’approche des fêtes. Car autour du 15 décembre, on ne dort plus.” De même, Ludovic Guintini se souvient de techniques qu’il employait avec son père: “On a fait le guet jusqu’à minuit, on a mis des pièges avec des planches à clous pour crever les pneus de voiture”. En vain.
Une suspicion de sabotage
Fabrice Grillon Gaborit, du CRC Méditerranée, n’a pas non plus été convaincu par les huîtres espion: “La géolocalisation n’était pas assez fine.” Emmanuel Parlier, lui, assure que 100% de ses clients, dont il ne communique pas le nombre, ont renouvelé leur abonnement.
Sarah Bon, gérante des établissements Lambert, entreprise majeure de Bourcefranc-Le-Chapus qui produit 400 à 500 tonnes d’huîtres par an.
Freiner les vols ne suffira, en tout cas, peut-être pas à arrêter les coups bas entre ostréiculteurs. Car l’affaire qui agite Bourcefranc-Le-Chapus ces dernières semaines n’est pas un vol, mais bel et bien un potentiel sabotage. Un bassin des établissements Lambert de 1,8 hectare a été vidé, le 11 novembre. Les deux bouchons le fermant ont été enlevés. Ce bassin contenait des huîtres vertes, particulièrement prisées. Un acte, pour Sarah Bon, à la tête de l’établissement, qui nécessite du matériel et des connaissances, et qui serait donc, selon elle, le fait d’un professionnel. Le bassin a été rempli d’eau en urgence, mais les gérants ne savent pas encore si les huîtres se remettront. La saison de Noël ne fait que commencer à Bourcefranc-Le-Chapus.
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