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Iran : “la police a intentionnellement visé la tête” lors des manifestations à Ispahan

Publié le : 03/12/2021 – 17:08

Après deux semaines de manifestations pacifiques, le mouvement des agriculteurs en réaction à la sécheresse à Ispahan a été violemment réprimé le 26 novembre. Des dizaines de protestataires ont perdu un œil : des images et des témoignages, dont celui de notre Observatrice, appuient la thèse de tirs intentionnels au visage de la part des forces de sécurité.

Le mouvement a pris corps le 9 novembre, lorsque des agriculteurs ont installé des tentes dans le lit asséché de la rivière Zayandeh Roud, qui traverse Ispahan, la troisième ville d’Iran avec plus de 2 millions d’habitants. Ils reprochent aux autorités de détourner l’eau pour alimenter la province de Yazd voisine et critiquent le fait que des industries utilisent également cette même eau, ce qui contribue aussi à réduire le niveau de la rivière. Ils demandent aussi de relâcher l’eau bloquée par des barrages dans la région.

Durant près de deux semaines, la manifestation a été tolérée. La télévision publique iranienne a même été interroger les participants. Mais dans la nuit du 25 au 26 novembre, les forces de sécurité sont brutalement intervenues, ont mis le feu aux tentes. Au matin, la police anti-émeute et les bassidjis, milice du corps des Gardiens de la révolution, s’en sont pris aux manifestants. Ils ont été frappés à coups de matraque et du gaz lacrymogènes et des fusils à pompe ont été utilisés. 

تیراندازی مستقیم به سوی معترضین.
اصفهان ۵ آذر pic.twitter.com/UVFQeYIxuM

— +۱۵۰۰تصویر (@1500tasvir) November 27, 2021


Des forces de sécurité tirent sur des manifestants regroupés dans le lit asséché de la rivière Zayanderud, à Ispahan, le 26 novembre.

Les fusils à pompe peuvent être utilisés avec des projectiles non létaux, mais s’ils sont utilisés à trop grande proximité de leur cible, ils peuvent causer de graves blessures, et même tuer. À Ispahan, c’est du shrapnel qui a été tiré avec ces armes, directement au visage, blessant des centaines de personnes, dont plusieurs ont été éborgnées. Certaines victimes avaient moins de 18 ans.

Un jeune homme de 15 ans a perdu ses deux yeux après avoir reçu des tirs de fusil à pompe. Photo publiée par un activiste des droits de l’Homme. © .

« Ils ont visé intentionnellement les gens au crâne »

Darya [pseudonyme] est médecin à Ispahan, elle a été en contact avec beaucoup des personnes blessées :

Je peux confirmer que toutes les blessures que j’ai vues sont dans la partie supérieure du corps, et la majorité sont à la tête. Il y a donc beaucoup de blessures à l’œil et des personnes éborgnées. C’est ce qui se passe quand on donne l’ordre d’utiliser des armes non létales mais de mettre fin à la manifestation le jour-même, et qu’on donne donc le feu vert aux forces de sécurité pour faire ce qu’elles veulent, je pense.

 

Photos de manifestants touchés aux yeux par des tirs de shrapnels, le 26 novembre à Isaphan (Iran). © Observers

Nourrodin Soltanian, porte-parole des hôpitaux d’Ispahan, a déclaré le 28 novembre à Fars News, média proche des Gardiens de la révolution : « 40 personnes avec des blessures aux yeux ont été enregistrées dans les hôpitaux, 21 sont hospitalisées et deux en soins intensifs ».

« La plupart des blessés évitent d’aller à l’hôpital de peur d’être arrêtés »

Mais notre Observatrice explique : 

Nous n’avons absolument aucune idée de combien de gens ont été blessés ou éborgnés, mais une chose dont je suis sûre c’est que le nombre réel de victimes est bien plus élevé. 

Depuis le 26 novembre, des dizaines de personnes m’ont contactée pour trouver un médecin ou un chirurgien en mesure de leur retirer les éclats de leurs corps sans que leur nom ne soit notifié. La plupart des blessés évitent d’aller à l’hôpital de peur d’être arrêtés. 

Si les blessures ne sont pas trop profondes ou sur une zone sans trop de risque, on peut traiter ça chez eux, mais si c’est compliqué, ces médecins le font à l’hôpital en enregistrant les patients avec un autre motif d’intervention. Seuls ceux ayant de graves blessures, ou qui paniquent face à leurs blessures, ont été emmenés directement à l’hôpital.

Publication Instagram d’un médecin d’Ispahan, qui parle de “crime” en évoquant les tirs aux yeux subis par les manifestants. © Observers

« Plusieurs autres témoignages de médecin confirment les observations de mon service. De nombreuses images ont été partagées par des médecins ou des familles de victimes, et montrent clairement des victimes avec des blessures aux yeux. »

Ces violences ont provoqué une vague de soutien en ligne de la part d’Iraniens, publiant sur Twitter ou surtout Instagram des photos d’eux avec un œil bandé ou caché. 

Diverses photos publiées par des Iraniens en soutien aux victimes d’Ispahan. © .

« Les gens ressentent une haine profonde” 

Darya poursuit :

Le manque d’entraînement des forces de sécurité peut être un facteur expliquant cette situation, mais le taux de blessures à la tête est tellement élevé que je suis convaincue que les forces de sécurité ont visé intentionnellement les gens à la tête. Et ce n’est pas la première fois. 

Il y a une dizaine d’années, des agriculteurs d’Ispahan avaient manifesté pour les mêmes raisons, le transfert d’eau de la rivière vers une autre région. Ils avaient été réprimés de la même façon, les blessures étaient similaires.

Selon des organisations de défense des droits humains et des médecins, les forces de sécurité sont allées dans les hôpitaux pour arrêter des protestataires blessés. Au 29 novembre, au moins 214 manifestants avaient été arrêtés, dont 13 étaient mineurs, selon le Centre pour les droits de l’Homme en Iran. La police iranienne fait elle état de 167 arrestations. 

Notre Observatrice conclut : 

Alors que la manifestation d’origine était pour réclamer leur droit à avoir de l’eau, la réaction violente des autorités a transformé les slogans, qui se sont adressés directement au régime et au Guide suprême. Les gens ressentent désormais une haine profonde.

 

بهترین شعارها رو همیشه از مردم #اصفهان شنیدیم. شعار زیبای این بار:
«اینهمه لشکر آمده، به جنگ رهبر آمده» pic.twitter.com/qOYqENrWHw

— Shahrzad (@Schahrzad_b) November 26, 2021


Sur cette vidéo, on entend des manifestants chanter : “Cette armée est venue pour combattre le Guide Suprême”

Youssef Tabatabei, représentant d’Ali Khamenei à Ispahan comme imam de la prière du vendredi, a estimé lors d’un prêche que les manifestants méritaient de subir une réaction forte.

Des manifestations contre le détournement de la rivière Zayandeh Roud ont régulièrement lieu ces dernières années, alors que le cours d’eau, essentiel à la vie de la ville pendant des siècles, a été transformé en une rivière saisonnière, asséchée une bonne partie de l’année.

Source

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