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Un partisan du président gambien, Adama Barrow, à Banjul, le 2 décembre 2021. JOHN WESSELS / AFP
Il est déjà tard à Banjul, la capitale de la Gambie, mais ils sont encore quelques centaines de sympathisants vêtus de jaune, réunis sur un terrain poussiéreux, pour soutenir Ousainu Darbo, une figure historique de l’opposition. « A l’époque de l’ancien dictateur [Yahya] Jammeh, on ne restait pas longtemps aux meetings, on avait trop peur de se faire arrêter », se souvient Mohamed Sowe, 41 ans, soulagé de pouvoir s’exprimer librement à la veille de l’élection présidentielle qui doit se dérouler samedi 4 décembre en Gambie.
Ce minuscule pays d’un peu plus de deux millions d’habitants, enclavé à l’intérieur du Sénégal, s’apprête à vivre son premier scrutin démocratique depuis le départ de Yahya Jammeh, début 2017. Le despote, aujourd’hui en exil en Guinée équatoriale, avait quitté le pouvoir à la suite d’une intervention militaire et d’une médiation régionales, après vingt-deux ans d’un régime autoritaire marqué par les assassinats, les disparitions forcées, les détentions arbitraires et les viols. Mais son ombre plane toujours sur la scène politique.
Six candidats sont en lice pour cette élection à l’issue très incertaine, dont l’actuel titulaire du poste, Adama Barrow, vainqueur inattendu face à Yahya Jammeh, fin 2016. Depuis, l’ancien promoteur immobilier, âgé de 56 ans, a déçu beaucoup de Gambiens. D’abord en ne respectant pas sa promesse de quitter le pouvoir après trois années de transition. Puis en annonçant, en septembre, vouloir s’allier avec l’Alliance patriotique pour la réorientation et la reconstruction (APRC), le parti de Yahya Jammeh. Un accord rejeté par le dictateur déchu qui a déclaré, à distance, soutenir l’un de ses anciens lieutenants, Mammah Kandeh. « Jammeh a encore de l’influence et des relais, mais pas assez pour gagner une élection, car son parti est divisé », analyse Sait Matty Jaw, maître de conférences en sciences politiques à l’université de Gambie.
Des « meurtriers » dans les rues
Pour beaucoup de Gambiens, la page des années Jammeh n’est pas complètement tournée. « Il faut encore s’occuper du passé, et que les coupables soient jugés au tribunal », revendique Baba Hydara, directeur du journal The Point, et dont le père, Deyda Hydara, fut assassiné en 2004, alors qu’il en était l’un des rédacteurs en chef. « Des meurtriers marchent toujours librement dans les rues », dénonce-t-il, rappelant qu’Adama Barrow compte, parmi ses conseillers, des proches de Yahya Jammeh. Il dit beaucoup attendre de la mise en œuvre des recommandations de la commission vérité et réconciliation pour construire une nouvelle Gambie.
Le rapport de cette instance vient tout juste d’être remis le 25 novembre, résultat de deux années d’auditions de 370 témoins, victimes et auteurs de crimes de l’ère Jammeh. Le vainqueur du scrutin aura six mois pour trancher la délicate question des suites à y donner. « Mais si Adama Barrow ou Mammah Kandeh l’emportent, les recommandations ne seront jamais appliquées », craint Sirra Ndow, représentante locale du Réseau africain contre les exécutions extrajudiciaires et les disparitions forcées (Aneked).
Baba Jallow, le secrétaire exécutif de la commission, est aussi sceptique sur la réelle volonté politique de poursuivre en justice les responsables des crimes. Il se dit tout de même fier du travail accompli. « Avec tous ces témoignages, cela ne peut plus être la même Gambie, car la population sait maintenant ce qu’il s’est réellement passé, indique l’ancien journaliste, qui a vécu dix-sept ans en exil aux Etats-Unis. Notre but était au moins de changer la culture politique, surtout chez les jeunes, pour que le passé ne se reproduise plus. » La principale interrogation porte sur le destin judiciaire de Yahya Jammeh. Certains demandent son amnistie au nom de la réconciliation et de la paix. D’autres exigent de le voir traduit en justice devant un tribunal spécial qui pourrait se réunir au Ghana ou au Sénégal.
« Ecrire notre histoire »
Cinq ans après la chute de l’autocrate, « la transition démocratique n’est pas complète », estime Gaye Sowe, directeur exécutif de l’Institut des droits de l’homme et du développement en Afrique (IHRDA), une ONG installée à Banjul. Le militant observe tout de même des progrès en matière de droits civiques et de liberté d’expression. La peur de voir des proches disparaître soudainement, d’être soi-même tué ou torturé, s’est effacée. Mais « beaucoup de lois répressives existent toujours malgré les promesses du président », note Michèle Eken, spécialiste de l’Afrique de l’Ouest chez Amnesty International.
Ainsi, une législation donne aux autorités le pouvoir d’intercepter et de stocker les communications à des fins de surveillance, sans réel contrôle judiciaire. Le projet de réforme du code pénal est enlisé à l’Assemblée nationale, qui a rejeté le projet de nouvelle Constitution en 2020. « Pour construire une véritable démocratie, les institutions, l’environnement politique et le système étatique doivent complètement changer, mais nous en sommes encore loin », considère aussi le militant des droits humains Madi Jobarteh, qui a été arrêté quelques heures, en juin 2020, et accusé de « diffusion de fausses informations », après avoir critiqué le manque d’enquêtes sur les violences policières. Amnesty International et d’autres organisations de la société civile gambienne ont demandé aux partis politiques de s’engager sur sept points en faveur des droits humains. Seuls quatre candidats les ont signés.
Dans une calme ruelle, une villa aux murs colorés accueille la Memory House (la « maison de la mémoire »), ouverte en octobre 2021 à l’initiative d’Aneked, pour entretenir le souvenir des victimes du régime de Yayah Jammeh. De grandes photos en noir et blanc sont exposées, accompagnées de témoignages et d’objets ayant appartenu à ceux qui ont disparu : ceintures, chemises, papiers d’identité ou casquette. Parmi eux, le chapeau blanc de Siaka Fatajo, dernière victime du régime de Yahya Jammeh, disparu en 2017, un mois après le départ en exil du dictateur. « Je suis fière de faire partie d’une initiative qui participe à documenter et à écrire notre histoire », lance Lisa Camara, responsable du plaidoyer pour les droits de l’homme chez Aneked. Aucun membre du gouvernement n’est jamais venu leur rendre visite. Le signe que la route est encore longue.
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