Editorial du « Monde ». Emmanuel Macron est en visite sur des terres particulièrement infertiles pour les valeurs que la France se targue de défendre. Des trois étapes que comporte son voyage dans la Péninsule arabique, les Emirats arabes unis, le Qatar et le royaume saoudien, trois monarchies autoritaires alliées de longue date avec la France, la dernière est assurément la plus délicate.
Le président de la République a en effet le regrettable privilège d’être le premier dirigeant occidental d’envergure à y rencontrer le prince héritier, Mohammed Ben Salman, alias « MBS ». Ce dernier, maître de fait du royaume, est marqué à jamais d’un sceau infamant, celui d’avoir commandité en 2018 l’assassinat dans des conditions épouvantables du dissident et journaliste saoudien Jamal Khashoggi, par ailleurs résident américain.
La CIA a conclu à sa responsabilité dans un rapport déclassifié par le président des Etats-Unis, Joe Biden, à son arrivée à la Maison Blanche. Ce dernier, qui promettait au prince un destin de « paria », n’a pourtant pas décidé d’autres sanctions que de le tenir à distance, au bénéfice de son père, Salman, le souverain en titre. Cette demi-mesure n’a pas fait renoncer « MBS » à ses méthodes, et elle risque d’ailleurs de s’éteindre en même temps que le roi, affaibli par les années et une santé déclinante.
La défense des intérêts de la France peut être avancée par celui qui en a la charge pour justifier cette forme de realpolitik glaciale. Intérêts militaires et économiques tout d’abord. Il s’agit principalement de ventes d’armes à des principautés pétrolières qui n’éprouvent guère les difficultés financières des autres clients de la France. Le contrat historique concernant la fourniture de 80 Rafale conclu aux Emirats l’illustre.
Enorme part de risque
Intérêts stratégiques ensuite, du fait de la confirmation d’un effacement durable américain et des esquisses de réajustements en cours entre les principales puissances régionales, y compris la Turquie et l’Iran. Les sphères d’influence de ces dernières peuvent en effet recouper celles de la France, l’un des seuls pays à disposer d’une base militaire dans la zone critique du Golfe, à Abou Dhabi.
Personne ne peut douter que tout doit être tenté, comme le promet la France, pour trouver une issue à la catastrophe humanitaire entraînée par la guerre conduite depuis 2015 par l’héritier saoudien contre les rebelles houthistes au Yémen. Personne ne reprochera non plus à un président français de répondre à l’implosion mortifère du Liban en s’efforçant d’obtenir un réengagement financier saoudien minimal, à condition qu’il ne soit pas réduit à néant par la corruption et l’incurie mises en évidence par la faillite en cours.
Le jeu avec les symboles comporte cependant une énorme part de risque, comme l’a illustré le précédent de la Légion d’honneur remise par le président français, en 2020, à son homologue égyptien, Abdel Fattah Al-Sissi, parfait exemple de potentat brutal. Ce geste honorifique n’a pas empêché le détournement à des fins inavouables par son régime, révélé par le site Disclose, d’une aide française précieuse en matière de renseignement.
Dans un monde où les régimes autoritaires ne cessent de gagner du terrain, le télescopage détestable des valeurs et des intérêts se retrouve constamment, il est vrai, au cœur de la diplomatie, surtout pour une puissance moyenne comme la France. En rabattre sur les premières, sur lesquelles se fonde un pays, ne doit s’envisager qu’à une seule aune, celles des résultats obtenus. La visite d’Emmanuel Macron ne pourra pas être mesurée autrement.
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