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Au Tchad, une promesse d’amnistie pour dégager l’avenir

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Le général, désormais cinq étoiles, Mahamat Déby à N’Djamena, le 23 avril 2021 lors des funérailles de son père. CHRISTOPHE PETIT TESSON / AFP

Héritier du pouvoir d’Idriss Déby mais pas de ses guerres. Sept mois après s’être vu confier les commandes du Tchad « parce que, dit-il, Dieu l’a voulu », Mahamat Déby, 37 ans, s’efforce de se délester des conflits qui ont balisé l’existence de son père et fini par l’emporter en avril.

Adoptés lundi 29 novembre en conseil des ministres extraordinaire, les projets de loi d’amnistie générale accordée « à ceux qui, pour une raison ou une autre, avaient choisi la voie de l’exil et/ou de la violence pour exprimer leurs divergences politiques » répondent à une intention du président de transition de « faire table rase des vestiges hérités des périodes sombres de notre pays ».

Dans les faits, le premier texte, qui doit encore être soumis au Conseil national de transition (CNT) − le Parlement intérimaire − concerne « 39 personnes condamnées pour des faits d’atteinte à l’intégrité de l’Etat et de délits d’opinion ». Le second, « 257 membres » de groupes armés, détenus et jugés après l’offensive des rebelles de l’Union des forces de la résistance (UFR) en février 2019, pour des faits « de terrorisme, de complicité, de recrutement et d’enrôlement des mineurs de moins dans les forces armées ».

« Le chef de l’Etat a la volonté de tourner la page du passé et l’amnistie était l’un des préalables des politico-militaires pour participer au dialogue national. La philosophie de cette mesure est de permettre à tout le monde de rentrer à la maison », précise le ministre de la communication, Abderaman Koulamallah, lui-même ancien rebelle rallié au pouvoir avant qu’Idriss Déby ne meurt au combat.

« Premier pas »

« C’est un premier pas dans le bon sens. Mais le chemin est encore long. Nous attendons la libération de nos détenus politiques et la restitution de nos biens », répond Timan Erdimi, neveu et ennemi intime de Déby père. Accueilli depuis plus de dix ans au Qatar, le patron de l’UFR n’a plus son poids d’antan parmi les rébellions tchadiennes qui gravitent entre la Libye et le Soudan.

Ses effectifs et ses moyens ont fondu. Son retour, comme celui de son ex-allié puis concurrent, Mahamat Nouri, réfugié et inculpé de « crimes contre l’humanité » en France pour de présumés enrôlements forcés, serait surtout perçu comme symbolique. Un signe de détente et d’apaisement, bien plus qu’une garantie de paix durable.

Aujourd’hui au Tchad, si des voix de la société civile dénoncent déjà la consécration de l’impunité pour ceux qui ont choisi la contestation armée et la place prépondérante offerte aux groupes politico-militaires sur l’échiquier politique, des questions se posent encore sur la portée de cette promesse d’amnistie générale.

L’homme le plus recherché du pays depuis qu’il a revendiqué le tir mortel sur Idriss Déby, Mahamat Mahadi Ali, le chef du Front pour l’alternance et la concorde au Tchad (FACT), sera-t-il concerné ? Pourra-t-il participer en toute sécurité à N’Djamena à ce « dialogue national inclusif » annoncé par les autorités de fait ?

« Nous ne parlons ni de grâce, ni d’amnistie, car la junte au pouvoir n’est pas plus légitime que nous, rebelles, coupe Mahamat Mahadi Ali. Nous attendons seulement que, comme nous, elle libère les prisonniers de guerre et déclare un cessez-le-feu, et enfin qu’elle cesse de réprimer les manifestations pacifiques ».

Le dirigeant rebelle désormais sous pression militaire de son ancien allié en Libye, Khalifa Haftar, aidé dit-il par « des encadreurs français » , n’entend cependant pas boycotter le dialogue. « Nous ne donnerons pas ce plaisir à la junte alors que nous réclamons une table ronde depuis 2016 », promet le chef rebelle.

« Si les gens du FACT n’ont pas été condamnés, ils sont donc présumés innocents. En tout état de cause, nous trouverons une solution », rassure pour sa part le ministre Abderaman Koulamallah alors qu’une enquête judiciaire a été ouverte à N’Djamena sur les circonstances de la mort du « Maréchal du Tchad ».

Dans le contexte actuel, chaque partie sait que toute manœuvre d’obstruction, toute politique de la chaise vide, serait contre-productive. Depuis début octobre, l’ancien président, Goukouni Weddey, conduit en effet un comité qui, de Paris à Doha en passant par Le Caire, a été chargé de ramener toutes les tendances autour de la table des discussions. Un prédialogue entre le pouvoir et les groupes rebelles devrait ainsi se tenir dans un premier temps au Qatar. Doha a donné son accord en ce sens et nul doute que, le cas échéant, ses largesses seront appréciées pour financer le retour des combattants, surtout de Libye, leur désarmement et leur démobilisation.

Cinquième étoile

Quoi qu’il en soit, alors que, selon plusieurs sources, le dialogue entre Tchadiens ne devrait pas s’ouvrir avant février ou mars 2022, une certaine agitation a déjà gagné la diaspora la plus militante. Figure des dissidents tchadiens en France où il est réfugié depuis 2013, Makaïla Nguebla prépare son retour pour ces prochains jours, depuis qu’il a été reçu avec d’autres militants mi-novembre à Paris par le président de la transition.

« Il nous a donné sa parole que nous pourrions rentrer sans souci. Il est à la recherche de nouvelles têtes pour l’entourer et nous a proposé de travailler avec lui si nous le souhaitons » explique-t-il, convaincu de la bonne foi de Mahamat Déby. Soucieux d’enterrer les brouilles de son père, il a également reçu à Paris Abakar Manany, en conflit depuis 2008 avec le défunt après en avoir été l’un des plus proches conseillers.

Reste qu’en dépit de tous ces gestes de décrispation, plusieurs observateurs s’interrogent sur la réelle volonté d’inclusion du régime. « Le dialogue a toutes les chances d’échouer pour des raisons structurelles, analyse Roland Marchal du Centre de recherches internationales de Sciences Po. Il ne pourra pas régler les conflits actuels du pays, car cela nécessiterait de poser la question de la nature du régime et Mahamat Déby n’a aucune marge de manœuvre avec sa famille et son clan qui ne veulent pas d’ouverture du pouvoir. »

Dans cette optique, le Parlement provisoire, le CNT, nommé par les quinze généraux qui composent le Conseil militaire de transition, le principal organe de décision, pourrait servir à atténuer les recommandations issues du « dialogue national inclusif ».

Dans la vie politique locale où tout se résume souvent à peu de mots et beaucoup d’armes, où les frères, les oncles et l’ensemble de la famille étendue de Mahamat Déby ont jusqu’ici maintenu une apparence d’unité, une réunion de toutes les tendances politiques pourrait être une chance historique de réconciliation. Elle pourrait surtout donner une opportunité au jeune général de coudre les premiers fils d’un costume présidentiel pour l’avenir.

Lors de ses rares prises de parole publiques, Kaka, son surnom, a toujours éludé la question de son futur. A N’Djamena, certains s’en chargent déjà pour lui, prévoyant que comme son père, celui qui vient d’ajouter une cinquième étoile à son uniforme continuera à visiter les casernes, mais dans la peau d’un général président.

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