La vente, signée vendredi, de 80 chasseurs Rafale aux Émirats arabes unis est non seulement « historique », mais elle semble aussi confirmer la bonne santé de l’avion de chasse français à l’export ces dernières années. Toutefois, il convient de relativiser la portée de ce succès, prévient un expert en armement contacté par France 24.
Cocoricos et superlatifs. L’annonce, vendredi 3 décembre, du contrat de vente de 80 Rafale aux Émirats arabes unis a été saluée comme « historique » par la ministre des Armées, Florence Parly, tandis que le PDG de Dassault Aviation, Éric Trappier, s’est réjoui d’un « succès français » qui constitue le contrat « le plus important jamais obtenu par l’aéronautique de combat française ».
Le patron du constructeur des Rafale a, en effet, dû saliver en voyant le prince héritier d’Abu Dhabi, Mohammed ben Zayed al-Nahyane, apposer sa signature sur cet accord de 16 milliards d’euros (dont 2 milliards pour les armements), un record pour l’avionneur français.
Le Rafale renaît de ses cendres ?
Pour Dassault Aviation, mais aussi Thales (électricien du Rafale), Safran (les moteurs) et plusieurs centaines de sous-traitants, c’est une garantie d’activité pendant plus de six ans, puisqu’il faut au moins un mois pour sortir un Rafale de l’usine.
Cette vente – qui est aussi une bonne nouvelle économique pour le président Emmanuel Macron à moins d’un an de la prochaine présidentielle – renforce un peu plus la réputation de « phénix » de l’aviation militaire du Rafale.
Durant ses plus de 25 ans d’existence, ce chasseur a d’abord connu beaucoup de bas. Présenté comme l’avion le plus avancé de sa génération à ses débuts, le Rafale peine à se vendre à l’étranger.
Jusqu’en 2015, Dassault Aviation ne voit rien venir. Et ce n’est pas faute d’essayer – que ce soit au Brésil, en Inde ou déjà aux Émirats arabes unis (les négociations duraient depuis 2008) – mais le Rafale apparaît comme trop cher. Il est proposé à environ 100 millions d’euros, et c’est sans compter les coûts d’entretien qui sont alors « parmi les plus élevés du marché », peut-on lire dans un mémoire de droit publié par l’université de Toulon en 2011. Ses concurrents, comme l’Eurofighter, les chasseurs suédois du groupe Gripen ou encore les avions américains, se vendent souvent bien en deçà des 100 millions d’euros.
En fait, l’avion tricolore est à l’époque enfermé dans un cercle vicieux : avec plus de commandes, Dassault Aviation pourrait faire des économies d’échelle et vendre moins cher, mais les pays étrangers rechignent à l’acheter à cause du prix. Et ce n’est pas le marché français qui peut lui permettre d’en vendre beaucoup plus.
Cependant, le Rafale fait ses preuves en Libye ou en Afghanistan à la fin des années 2000. De quoi susciter davantage d’intérêt. Le baptême du feu en conditions réelles du chasseur français constitue le point de bascule, d’après le quotidien économique La Tribune.
C’est ce qui aurait amené l’Égypte à devenir, en 2015, le premier acquéreur hors de l’armée française d’une vingtaine de Rafale. Les contrats se sont ensuite « multipliés » jusqu’à celui signé avec les Émirats arabes unis, qui deviennent ainsi le sixième membre du club des clients étrangers du Rafale aux côtés de l’Égypte, de l’Inde, le Qatar, la Grèce et la Croatie.
Les ventes signées à Dubaï permettent même au Rafale, qui a tant peiné à quitter son nid français, de devenir un avion davantage vendu à l’étranger que dans l’Hexagone (236 à l’international, 192 pour la France).
L’ombre pesante du F-35 Américain
Mais ce récit d’une renaissance qui ferait du Rafale, jadis qualifié d’ »avion maudit », une « success story » qui emballe un nombre croissant de pays doit être relativisé, avertit Alexandre Vautravers, expert en sécurité et en armement et rédacteur en chef de la Revue militaire suisse (RMS), contacté par France 24. « Cela reste très en dessous de ce que la concurrence directe, à commencer par le F-35 américain de Lockheed Martin, annonce au même moment », précise ce spécialiste suisse.
Lockheed Martin a déjà écoulé près de 1 000 F-35 dans le monde, et c’est sans compter les commandes de l’armée américaine elle-même. Un carnet de commandes plus fourni qui permet au constructeur américain de réaliser ce que Dassault Aviation n’a pas pu : baisser le prix grâce à des économies d’échelle. Le F-35A coûte ainsi moins de 80 millions de dollars (70 millions d’euros).
D’où une situation inconfortable pour le Rafale : le F-35 est moins cher tout en étant plus récent (en service depuis 15 ans seulement) et « 40 % plus efficace d’après les estimations des autorités suisses », souligne Alexandre Vautravers.
Les deux avions sont sur le même créneau des chasseurs polyvalents ou « omnirôles » dans le jargon officiel de Dassault Aviation. C’est-à-dire qu’au cours d’une même mission, ils sont capables de lutter pour la supériorité aérienne – mission traditionnelle des chasseurs –, d’effectuer des bombardements et des opérations de soutien des armées au sol. Mais le F-35 peut, en plus, voler de manière totalement furtive, ce qui n’est pas le cas du Rafale, et dispose d’une plus importante autonomie.
Une arme géopolitique ?
Le principal avantage de l’avionneur français est d’ordre géopolitique. « Le meilleur argument de vente des Rafale est qu’ils permettent de contourner un éventuel embargo américain », assure Alexandre Vautravers. C’est-à-dire que si Washington décide de frapper un pays de sanctions économiques, il vaut mieux ne pas dépendre seulement du matériel américain pour se défendre, et « les Rafale – tout comme les systèmes russes – permettent de se diversifier », souligne l’expert suisse.
Dans l’ensemble, les Rafale se vendent mieux avant tout « parce qu’il y a un marché en croissance pour tous les acteurs ». Le vrai test, d’après lui, pour évaluer à quel point l’avion français séduit est de compter les nouveaux pays où Dassault s’est imposé face ses concurrents.
La plupart des ventes de Rafale ont été réalisées « dans des pays qui disposaient déjà d’avions français », souligne Alexandre Vautravers. L’Égypte, la Grèce ou encore les Émirats arabes unis ont tous signé pour renouveler des flottes de Mirage français. Même l’Inde disposait déjà d’avions de chasse tricolore. Autrement dit, la France ne s’est pas vraiment fait de nouveaux clients.
C’est pourquoi les négociations en cours pour vendre 36 avions français à l’Indonésie sont aussi importantes pour Dassault Aviation. Ce serait le premier pays qui se convertirait au « made in France » depuis l’envol du premier Rafale.
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