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En Tunisie, le président Kaïs Saïed à l’épreuve du mécontentement social

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Des manifestants font face aux forces de l’ordre alors qu’ils protestent devant le Parlement contre la prise de pouvoir du président Kaïs Saïed, à Tunis, le 14 novembre 2021. FETHI BELAID / AFP

Une croissance en berne, un déficit qui se creuse, un taux de chômage qui dépasse les 18 %… Les indicateurs sont au rouge en Tunisie où le gouvernement vient de se tourner pour la quatrième fois en dix ans vers le Fonds monétaire international (FMI) afin d’obtenir une nouvelle aide financière.

Cette conjoncture délicate met à l’épreuve le président Kaïs Saïed, qui s’est arrogé les pleins pouvoirs fin septembre, deux mois après avoir suspendu le Parlement. S’il reste largement en tête des sondages, récoltant plus de 80 % d’intentions de vote, le chef de l’Etat va devoir faire face à la montée des impatiences dans un pays en mal de réformes.

« Les moteurs de la croissance sont à l’arrêt. Des milliers de PME sont sur le point de faire faillite après la crise sanitaire, les investisseurs étrangers restent frileux face à la situation politique instable et il n’y a toujours pas de feuille de route claire », résume l’ancien ministre des finances Fadhel Abdelkefi, président du parti centriste Afek Tounes.

La question sociale revient sur le devant de la scène. Une grève générale est annoncée pour les prochains jours dans la ville de Sfax pour protester contre les déchets qui s’accumulent depuis plus de deux mois suite à la fermeture d’une décharge.

Une « explosion sociale majeure » ?

Dans le même temps, des unions de chômeurs commencent à se mobiliser pour contester la suspension, le 19 novembre, votée en 2020 par l’ancien Parlement, qui promettait l’embauche massive dans le secteur public de demandeurs d’emploi au chômage depuis plus de dix ans.

Cette « loi 38 » a été qualifiée d’« illusoire et trompeuse » par le président, qui s’est engagé à trouver des solutions alternatives dans un pays où la masse salariale des fonctionnaires représente déjà près de 15 % du PIB. Mais la grogne monte dans les rangs des chômeurs en sit-in ou grève de la faim, de Kasserine à Kairouan. Ils sont désormais nombreux, parmi ceux qui avaient soutenu Kaïs Saïed lors de son élection en 2019 ou après son coup de force du 25 juillet, à douter de la valeur de son slogan : « Le peuple veut. »

Pour le seul mois d’octobre, le nombre de mouvements sociaux s’est hissé à 789, contre 442 en août, selon le Forum tunisien des droits économiques et sociaux. Alors que ces protestations continuent d’augmenter en novembre, le Forum pointe le risque d’une « explosion sociale majeure », nourrie par « l’incapacité du président et de son gouvernement à répondre au très haut plafond d’attentes du 25 juillet ».

Le flou dans les annonces de Kaïs Saïed agace les forces syndicales et alimente la contestation au sein de la classe politique. Outre les manifestations orchestrées par les militants et sympathisants du parti islamo-conservateur Ennahda, principale force du Parlement suspendu fin juillet, d’autres oppositions se mobilisent.

« Comme sous Ben Ali »

La présidente du Parti destourien libre, Abir Moussi, toujours populaire dans les sondages, a ainsi manifesté avec ses partisans le 20 novembre. L’ancienne députée fustige régulièrement le chef de l’Etat dans ses interventions médiatiques, tout en réclamant la dissolution du Parlement et la convocation rapide d’élections anticipées.

De l’autre côté de l’échiquier politique, les partis de la gauche nationaliste, à l’origine plutôt favorables au président, sont désormais plus timides dans leur soutien, notamment depuis la décision sur la loi 38 qu’une partie d’entre eux avaient soutenu lors de son vote.

Selon le chercheur en sciences politiques Mohamed-Dhia Hammami, les discours hostiles des élites pourraient finir par influencer une opinion publique jusqu’ici très indulgente à l’égard du chef de l’Etat. « Les Tunisiens sont exposés constamment à des débats critiques envers Kaïs Saied. Et le désenchantement ambiant face à l’absence de réalisation de ses promesses risque d’inverser la dynamique en sa faveur », explique-t-il.

L’opposition gagne également une partie de la société civile qui a exprimé à plusieurs reprises des inquiétudes face au recul des droits et libertés. Plusieurs associations ont ainsi dénoncé les restrictions d’accès aux différentes manifestations qui ont eu lieu ces derniers mois.

Dans un rapport publié le 4 novembre pour marquer les cent jours du coup de force du président Kaïs Saïed, l’Alliance pour la sécurité et les libertés, un collectif d’associations, dénonce de nombreux abus comme la tenue de procès de civils dans des tribunaux militaires ou les agressions envers des journalistes et activistes qui symbolisent « la permanence de l’impunité des forces de l’ordre ».

Autant de griefs qui « posent aussi beaucoup de questions sur la concentration des pouvoirs », résume Lamine Benghazi, coordinateur de programmes pour l’ONG Avocats sans frontières. « Tous ces épiphénomènes montrent que nous sommes en train de nous habituer à être gouvernés par un seul homme », déplore-t-il.

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