Indépendante depuis plus d’un demi-siècle, l’île caribéenne de la Barbade est officiellement devenue mardi une République, un changement de statut symbolique qui traduit la volonté des nouvelles générations de faire table rase du passé colonial.
Cela n’était pas arrivé depuis trente ans. La petite île de la Barbade, la plus orientale des Petites Antilles, s’est officiellement affranchie, mardi 30 novembre, de la couronne britannique, suivant l’exemple de l’île Maurice en 1992.
Célèbre pour ses plages de rêve, son statut de paradis fiscal et la chanteuse Rihanna, le micro-état caribéen a donc intronisé la présidente Sandra Mason, élue au suffrage universel indirect, comme cheffe d’État, en remplacement de la reine Elizabeth II.
« Moi, Sandra Prunella Mason, jure d’être fidèle et de porter une véritable allégeance à la Barbade conformément à la loi, avec l’aide de Dieu », a déclaré la nouvelle présidente en prêtant serment.
Signe d’un divorce sans pertes ni fracas entre le Royaume-Uni et la Barbade, le prince Charles, hériter de la couronne, était invité aux célébrations de cette transition historique vers le régime républicain.
Le changement sera essentiellement symbolique pour la Barbade, indépendante depuis 1966, qui reste membre du Commonwealth mais verra disparaître les insignes de la Reine ainsi que le terme « royal » du nom de ses institutions.
Officiellement cheffe d’État, Elizabeth II n’interférait jamais dans la vie politique barbadienne et son titre était surtout honorifique.
« Première société esclavagiste » britannique
Cependant, ce changement de statut est loin d’être anodin pour une île dont 90 % de la population descend de peuples africains ayant connu un passé colonial sanglant.
Selon l’historien Hilary Beckles, président de la commission des réparations pour la Communauté des États caribéen (Caricom), la Barbade a servi de laboratoire à « la première société esclavagiste britannique ».
Le décret de 1636 sur l’esclavage à vie à la Barbade est en effet l’un des tout premiers exemples de légalisation sur l’esclavage.
Des études scientifiques ont récemment démontré les conditions de vie effroyables des hommes et des femmes contraints de travailler à cette époque dans des plantations de canne à sucre de l’île. Selon une étude menée sur les restes humains enterrés au « Newton Slave Burial Ground » de la Barbade, l’espérance de vie des esclaves dépassait alors à peine 18 ans.
Pour certains militants, comme Firhaana Bulbulia, fondatrice de l’Association des femmes musulmanes de la Barbade, la colonisation britannique et l’esclavage sont aujourd’hui directement responsables des inégalités sur l’île.
« Les écarts de richesse, la capacité à être propriétaire, même l’accès aux prêts bancaires, tout cela est lié aux structures créées sous le pouvoir britannique », soutient la jeune femme de 26 ans, interrogée par l’AFP.
Malgré des difficultés liées à la chute de l’activité touristique à cause de la pandémie de Covid-19, la Barbade reste un pays riche par rapport à ses voisins. Selon les derniers chiffres des Nations unies, elle dispose de l’un des indices de développement humain les plus élevés de la région, juste derrière celui de l’Argentine.
Un effet « Black Lives Matter »
Élue en 2018, la Première ministre Mia Mottley a largement porté ce projet d’émancipation vis-à-vis de l’ancienne puissance coloniale. Si cette idée couvait depuis de nombreuses années, voire plusieurs décennies, l’arrivée d’une nouvelle génération de Barbadiens, influencés par le mouvement Black Lives Matter, semble avoir accéléré le processus.
Symbole de ce nouvel état d’esprit, le déboulonnage de la statue de l’amiral Horatio Nelson organisée par les autorités barbadiennes. La statue du navigateur britannique, proche des esclavagistes, avait alors été retirée de la place des Héros dans la capitale Bridgetown pour rejoindre le Musée de la Barbade.
« Il y a aujourd’hui un certain consensus en faveur de la République », explique Matthew Graves, professeur d’histoire britannique à l’université d’Aix-Marseille, joint par France 24. « Et Black Lives Matter a en effet constitué la toile de fond de ce mouvement qui veut se démarquer de l’histoire coloniale et assumer pleinement la souveraineté du pays. »
D’autres événements ont également alimenté cette réflexion sur « la décolonisation des esprits », notamment les accusations de racisme lancées l’an dernier par le prince Harry et sa femme Meghan à l’encontre de la famille royale. En 2018, le scandale Windrush a également contribué à briser la confiance entre l’île et la Grande-Bretagne lorsque des immigrés d’origine caribéenne et leurs descendants, arrivés légalement au Royaume-Uni, s’étaient retrouvés menacés d’expulsion.
Continuité du Commonwealth
Avec la naissance de cette nouvelle république caribéenne, certains experts s’attendent à voir d’autres royaumes suivre cet exemple pour s’affranchir de la couronne britannique.
À commencer par la Jamaïque dont l’indépendance constitutionnelle est un débat qui revient régulièrement dans l’actualité. En 1999, les Australiens s’étaient également rendus aux urnes pour décider si leur pays devait devenir une république avec un président élu localement, mais la proposition n’avait finalement pas été adoptée. La question pourrait également refaire surface au Canada.
« Cependant, il ne faut pas y voir un événement catalyseur d’un début d’effondrement du Commonwealth », prévient Matthew Graves, qui rappelle que d’autres pays comme le Guyana en 1970 ou encore Trinité-et-Tobago en 1976 ont choisi de retirer à la reine d’Angleterre sa position de cheffe d’État tout en restant au sein du Commonwealth.
« Nous resterons des amis et alliés loyaux, en nous appuyant sur les affinités et connexions durables entre nos peuples et sur le lien spécial du Commonwealth », a assuré lundi le Premier ministre britannique Boris Johnson dans un communiqué.
Crée en 1949, le Commonwealth comporte aujourd’hui 54 pays membres et constitue un élément majeur de l’influence britannique dans le monde, en particulier depuis le Brexit. Il permet également à de petits États comme la Barbade de se faire entendre sur la scène internationale.
Selon Matthew Graves, « Buckingham tient beaucoup au rôle cérémonial de la Reine au sein de l’organisation et tient aussi beaucoup à son avenir ». Un avenir assuré, selon le chercheur, qui rappelle qu’en avril 2018, les pays du Commonwealth ont voté en faveur d’une succession d’Elizabeth II par le prince Charles à la tête de l’organisation.
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